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doivent renoncer à se faire immatriculer et à prendre leurs grades. À Iéna, c’est bien pis encore : les quatre gouvernemens de qui dépend cette université ne consentent pas même à ce qu’elles pénètrent dans les salles à titre de simples auditeurs, ils les éconduisent impitoyablement. L’Allemagne résiste ; mais à certains symptômes, il est permis de croire qu’elle ne résistera plus longtemps, qu’elle commence à mollir. Les femmes auront prouvé une fois de plus qu’elles veulent bien ce qu’elles veulent et que ce qu’elles veulent, Dieu le veut.

Au mois de novembre 1895, un journal de Berlin annonça que le professeur Erich Schmidt et le célèbre historien, M. de Treitschke, mort depuis, avaient expulsé à grand fracas quelques dames qui s’étaient permis de paraître à leurs cours ; qu’en procédant à cette exécution, M. de Treitschke avait lâché des paroles vives et malsonnantes. Il se trouva que cette nouvelle était fausse ou n’était qu’à moitié vraie. Cet incident détermina un journaliste, M. Arthur Kirchhoff, à interroger plus de cent professeurs, choisis parmi les plus connus, sur la question de l’admissibilité des femmes aux études universitaires. Il a recueilli leurs réponses écrites dans un volume récemment publié, qui mérite d’être lu[1].

On constate tout d’abord, en parcourant ce recueil, que les purs intransigeans, résolus à ne rien accorder aux femmes, à les débouter sans façons et sans cérémonie de leur requête, sont très rares. Je n’en vois que fort peu qui refusent nettement d’entrer en composition. À leur tête est un vénérable professeur de philologie à l’université de Gœttingue, M. Ferdinand Wüstenfeld, qui s’exprime en ces termes : « J’aurai bientôt accompli ma quatre-vingt-huitième année et je dois pour vous écrire emprunter le secours d’une main étrangère. Qu’il vous suffise de savoir que je suis absolument opposé à l’admission des femmes dans les études académiques et dans toute profession qui demande une éducation savante ! » À quatre-vingt-huit ans, il est permis d’avoir peu de goût pour les nouveautés, et les femmes pardonneront à ce philologue bourru son arrêt sans appel, qu’il n’a pas pris la peine de motiver. Elles en voudront davantage à un professeur de droit de Berlin, M. Gierke, dont la conclusion est ainsi conçue : « Nous vivons dans des temps sérieux. Le peuple allemand a mieux à faire que de se livrer à des expériences aventureuses sur les études des femmes. Une seule chose nous importe, c’est que nos hommes soient des hommes.

  1. Die akademische Frau, Gutachten hervorragender Universitätsprofessoren, über die Befähigung der Frau zum wissenschaftlichen Studium und Berufe ; Berlin, 1897. Hugo Steinitz Verlag.