Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/678

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur le principe. En revanche, il constate que les théories du major Boshart sont largement appliquées en Afrique par ses compatriotes. « On sait, dit-il[1], qu’autrefois, quand l’explorateur pouvait compter sur l’appui des chefs indigènes, les expéditions étaient pacifiques, lorsqu’elles n’échouaient pas complètement. Il était réservé à Stanley d’ouvrir l’ère des marches sanglantes à travers l’Afrique. Les résultats obtenus imposent silence à la critique; cependant, à les juger sans parti pris, on est obligé de déclarer que la brutalité atteignit à cette occasion un degré qui a ému douloureusement tous les amis de l’humanité et n’a pas avancé l’œuvre de la civilisation en Afrique.

« Depuis ce moment, tuer le nègre à coups de fusil est devenu une espèce de sport. De temps à autre, pour changer, on en pend un ou deux, et alors, par une réaction inévitable, les naturels essaient à l’occasion de voir s’ils ne seraient pas les plus forts, causant par là de nouvelles effusions de sang. C’est ainsi que les affaires se sont embrouillées de plus en plus dans de vastes territoires, sans qu’on puisse décider de son bureau si tel massacre d’indigènes était nécessaire ou non. »

M. Franz Giesebrecht résume la situation en exprimant l’espoir que les traitemens infligés aux indigènes dans les colonies allemandes cesseront prochainement d’être un sujet de « honte » pour la mère patrie.

Quelques coloniaux allemands penchent pour la douceur; l’un d’eux, le docteur Kersten, est allé jusqu’à écrire que le principal obstacle au développement des colonies africaines, ce sont les Européens débauchés, ivrognes, égoïstes et barbares. Mais ces voix isolées se perdent dans la grande clameur « de pleurs et de bruits de coups » que Peter Halket n’entendait pas et que son hôte n’entendait que trop. J’imagine qu’il se crée en Afrique, en ce moment, un folk-lore sanglant et sinistre. Il doit se raconter entre noirs des légendes effroyables sur le fléau dont tous, à l’heure présente, ont ouï parler, si tous ne l’ont pas encore vu de leurs yeux, car il les cerne et les resserre de toutes parts. Les recueils de traditions populaires de l’avenir diront peut-être leurs épouvantes aux approches du monstre appelé Civilisation. Notre orgueil aura à souffrir au spectacle de ces angoisses.

En résumé, chacun en décide, pour l’instant, au gré de ses

  1. Loc. cit.