Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/671

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suivie, et il appuya sur l’ingratitude de ces malheureuses, qui abandonnent le meilleur maître pour rejoindre un sale nègre : « — Elle allait avoir un petit. — Ils l’auront tué avant sa naissance; ça n’a pas de cœur, ces nègres; ça ne leur fait rien, l’enfant d’un blanc... Si vous prenez des négrillonnes, toutes jeunes, ça peut encore aller; mais quand elles ont eu un mari nègre et des enfans, autant essayer de retenir une diablesse! Elles retournent toujours... Si jamais je l’attrape, son sale nègre, je lui ferai son affaire. Ça ne traînera pas. »

Il y eut une pause. L’endroit où le sale nègre avait « son affaire » provoquait toujours un murmure d’approbation dans l’auditoire, et Peter comptait sur quelque marque de sympathie de la part de l’étranger. Il attendit inutilement. Son hôte resta sans voix et sans mouvement, fixant toujours le feu de ses grands yeux tristes.

Peter laissa les histoires de femmes pour les histoires de guerre. Il avait remarqué aux pieds du voyageur taciturne deux cicatrices qui semblaient indiquer un connaisseur en aventures sanglantes, et, selon toute apparence, un amateur de plaies et bosses : « Vous avez aussi fait la guerre, je vois ça. Les deux pieds! Et ça a traversé! Vous avez dû passer de rudes momens ?

— Il y a si longtemps, » dit l’étranger.

Peter lui décrivit une scène dont une photographie instantanée, hideuse de réalisme, est placée en tête du volume d’Olive Schreiner. Trois nègres sont pendus aux branches d’un arbre. Une douzaine d’Européens, rangés en demi-cercle, contemplent leur œuvre d’un visage satisfait. L’un d’eux fume un cigare. Deux jeunes gens sourient :

« — Vous avez su, commença Peter, cette bonne farce, sur la route de Buluwayo, quand ils ont pendu trois nègres comme espions? Je n’y étais pas, mais un camarade qui y était m’a dit qu’ils ont forcé les nègres à sauter de l’arbre et à se pendre eux-mêmes. Il y en avait un qui ne voulait pas sauter; il a fallu lui tirer dans le dos, et, après ça, il a empoigné une branche, et il a fallu lui tirer sur les mains pour le faire lâcher. Il n’aimait pas à être pendu. Je ne sais pas si c’est vrai, je n’y étais pas, c’est un camarade qui me l’a raconté. Un autre, qui n’y était pas, dit qu’on a tiré dessus, pour les tuer, après qu’ils eurent sauté. Moi...

— J’y étais, fit l’étranger.