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QUESTIONS ACTUELLES

EXAMEN DE CONSCIENCE

Il y a des malchanceux parmi les races comme parmi les individus. La nature était probablement mal disposée le jour de leur création, et les a manquées. Tant pis pour elles, car « les droits » de la civilisation passent avant tout, et il ne faut pas laisser encombrer notre globe, déjà trop petit, par de la vermine humaine. D’où nous viennent ces « droits », on ne s’en inquiète guère; ils existent, puisque nous y croyons et que nous sommes les plus forts.

La race noire est celle que nous avons le plus constamment traitée en vermine encombrante. On a toujours mené les nègres à coups de trique, et les changemens de maîtres n’ont guère été pour eux que des changemens de fléau ; musulmans ou chrétiens, Arabes ou Allemands, c’est tout un pour ces pauvres diables. Il n’y a de différence que dans les principes au nom desquels ils sont exploités, fouettés, pendus, fusillés, massacrés en gros et en détail, et ils ne sont pas sensibles à ces nuances. Fouetté pour fouetté, le nègre se soucie fort peu que ce soit dans l’intérêt égoïste et méprisable d’un vil marchand d’ébène, ou pour servir une noble science appelée l’économie politique, et ouvrir de nouveaux débouchés à la quincaillerie d’un grand peuple ; son échine ne lui en cuit ni plus ni moins.

Sa mauvaise étoile a cependant été vaincue une fois, en Amérique, il y a bientôt un demi-siècle. Chacun sait qu’il l’a dû, en très grande partie, à un livre écrit par une femme. Ce que Mrs. Beecher Stowe et la Case de l’oncle Tom ont fait pour lui aux