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en cherchant bien, chez quelques-uns des contemporains.

En 1808[1], le ministre von Schrötter avait rédigé pour un petit journal, l’Ami du Peuple, un panégyrique officiel et sans ré- serves de l’édit de Stein. Vers 1812, Scharnweber, esprit moins administratif et plus indépendant, retrouvait l’article de Schrötter et l’annotait avec un scepticisme inquiet et peu laudatif, et vers 1810, Vincke, qui était beaucoup plus que Scharnweber de l’école de Stein, s’épanchait sans réserve sur l’avortement de la réforme agraire. Quiconque pénètre au fond des choses sent dès lors que la législation de Stein, la législation de 1807 et de 1808, a surtout l’aspect d’une manifestation humanitaire[2].

Hardenberg, en principe et en fait, a été plus loin. L’édit de septembre 1811, réduit, limité, envisagé seulement dans le résidu final, dans les conséquences définitives de son application pratique, entraîne de bien autres résultats, soulève de bien autres questions de droit public que les édits de Stein.

Ce n’est plus ici le souverain qui, sur ses domaines, fait l’abandon librement consenti d’une domination, de prérogatives exceptionnelles. C’est le chef d’Etat qui porte un main révolutionnaire sur les droits traditionnels et contractuels des grands propriétaires nobles et qui transforme, par le fait du prince, leurs titres de propriété sur les tenures rurales.

Les hobereaux ne s’y trompent pas un instant. C’est là, presque autant que la résistance de l’intérêt menacé, ce qui fait l’ardeur de leur opposition. Ces vieux titres de domination, dont l’origine obscure et souvent violente se perd dans la nuit des temps, l’oligarchie ne peut consentir à les reconnaître périmés par les progrès de l’évolution sociale. Qu’elle ait réussi, comme elle le fit, à restreindre l’étendue de la mainmise révolutionnaire dont elle se plaignait, l’importance théorique, la portée fondamentale de l’acte n’en demeure pas moins.

Hardenberg a fait sur une moindre échelle, avec d’autres lenteurs et d’autres ménagemens[3], la liquidation partielle, mais cependant révolutionnaire, de la féodalité, liquidation que la France venait d’achever radicalement.

C’est par là encore que Hardenberg est un succédané en Prusse

  1. Knapp, Die Landarbeiter in Knechtschaft und Freiheit, p. 90.
  2. V. Bodelschwingh, Leben Vincke’s, I, p. 451 et suiv.
  3. Le principe de l’indemnité notamment. Voir Treitschke, Deutsche Geschichte, I, p. 376.