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Prusse sut conserver, après 1809, une existence indépendante et préparer quelques-uns des élémens matériels du soulèvement de 1813. Les ressources créées et encaissées par Hardenberg, utilisées par Scharnhorst en préparatifs militaires, y ont concouru pour une large part.

Cherchons cependant ailleurs ce qui peut servir à caractériser l’œuvre politique et sociale du chancelier. Il fut pour la Prusse plus qu’un ministre des finances expert. Il fut aussi un réformateur. Seulement il faut écarter les idées d’austérité, de passion, ou même d’autorité que ce mot évoque.

Hardenberg n’était rien moins qu’austère; il ne l’était pas. pour lui-même ; il l’était encore moins dans son entourage où pullulaient les intrigans subalternes et les plumitifs superficiels. Les amis de Stein, irrités d’avoir vu écarter assez brusquement les hommes les plus considérables du gouvernement prussien, signalaient avec aigreur à l’exilé « les pratiques louches ou les influences malpropres » qui s’exerçaient autour de Hardenberg, et tous n’avaient point l’ardeur passionnée de délivrance qui porta, dans les débuts au moins, Stein à soutenir malgré tout le chancelier[1].

Hardenberg avait de l’autorité ; mais ce n’était point au même sens que Stein. Stein avait su imposer autour de lui l’ascendant d’une volonté forte. Hardenberg possédait l’autorité absolue et quelque peu artificielle qui résultait de l’organisation gouvernementale qu’il avait imposée au monarque, de l’éloignement de tous ceux, Scharnhorst excepté, qui eussent pu conserver vis-à-vis de lui quelque indépendance. Il ne posséda point cette autorité spontanée qui naît du respect.

Hardenberg était sans passion pour son œuvre. Il avait groupé, il guidait de fort haut, une armée de collaborateurs jeunes, ardens et actifs. Il avait plus de bonne humeur que Stein; mais il lui manquait le goût du détail, l’ardeur exclusive des convictions arrêtées. A peine trouve-t-on dans toutes les pièces de la réforme agraire une ou deux notes de son écriture fine et déliée de diplomate expert[2]. Il a inspiré peut-être, il a su s’approprier en tous cas et faire siens les travaux de ces administrateurs laborieux et éclairés, habitués à serrer de près la réalité et le détail des affaires, passionnés pour la réforme agraire, convaincus de sa

  1. Pertz, Das Leben des Ministers Freiherrn vom Stein, II, pp, 571 et suiv.
  2. Knapp, Die Bauern-Befreiung, II, p. 265.