Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/599

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il se trouvait privé du consentement universel, penseur isolé, destitué du point d’appui qu’il avait donné pour base à la religion même. Il dut réfléchir souvent au portrait qu’il avait jadis tracé de Nicole, et qui, par une ironie de la destinée, se trouvait trait pour trait devenu celui de Lamennais : « Personne n’a jamais mieux que M. Nicole montré la faiblesse et l’inconséquence de l’homme, et personne ne fut jamais plus inconséquent. Lisez ses traités contre les protestans et vous admirerez avec quelle force de raisonnement il prouve qu’on doit se soumettre sans balancer aux décisions des pasteurs de l’Église qui sont faites sous l’autorité de leurs chefs, parce que l’Eglise seule peut nous ouvrir un sentier de lumière à travers le labyrinthe des opinions humaines. Eh bien, ce même homme a été rebelle pendant toute sa vie à l’autorité qu’il avait si laborieusement défendue et il a résisté jusqu’au dernier soupir aux jugemens prononcés par le souverain pontife, et adoptés par presque tous les évêques...» — Le nouveau Nicole passa toute la seconde partie de sa vie à réfuter la première, ou il avait passé la première à réfuter d’avance la seconde. A chacune de ses assertions on pouvait lui dire : « Quel fondement à la vérité que vous nous annoncez, puisqu’elle n’a pas celui du consentement universel, et puisque le consentement universel constitue seul la vérité? » — C’est que les uns disent : « Mon devoir de croyant est de ne pas croire en moi. Pour que ma foi ait un caractère religieux il faut qu’elle me soit donnée. Si elle me venait de moi elle ne serait qu’une suggestion de ma personnalité qui n’est rien du tout. Elle ne serait pas une foi, elle serait une opinion, comme celle que j’ai sur la dernière comédie. Elle n’est religieuse qu’à la condition d’être impersonnelle » ; et ceux-ci sont catholiques. — Les autres disent : «Mon devoir est de me former une croyance. Pour que ma foi ait un caractère religieux, il faut que ce soit moi qui croie, et pour que ce soit moi qui croie, il faut que je considère et que je choisisse. Si ma foi vient d’autrui, c’est quelque chose en moi qui n’est senti que par un autre. Ma foi n’est religieuse qu’à la condition d’abord qu’elle soit mienne « ; et ceux-ci sont protestans, et peut-être plus éloignés encore du catholicisme que les protestans. Lamennais avait passé de longues années dans le premier état d’esprit : condamné par Rome, et n’acceptant pas sa condamnation, il se réveilla brusquement dans le second.

Il en fut toujours gêné et comme étourdi; car ce n’étaient pas