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Mais, au fond, c’est un appel à la nonchalance, au respect humain et à la peur. Donnez à tout cela des noms plus beaux, si vous voulez, il restera toujours que c’est un appel à des sentimens. Donner comme des preuves ce qui n’est qu’un appel au sentiment, c’est à quoi se réduit la théorie de Lamennais. Et donc ce n’est pas une démonstration. Nous nous en apercevons parfaitement, et résistons à un raisonnement auquel il manque d’être un raisonnement.

Où Lamennais s’est le plus trompé, c’est quand, s’apercevant que l’influence de l’autorité sur la croyance était un fait, il en a conclu que mettre ce fait en démonstration, serait un coup de partie. Point du tout. Oui, nous croyons beaucoup de choses parce qu’on les croit autour de nous, mais précisément à la condition qu’on ne nous dise pas que nous avons raison de les croire pour cela. Car alors nous nous avisons que nous n’avons aucune raison de les croire, et que nous ne les croyons que par sentiment; et tout de suite nous avons quelque pudeur à les croire encore, et quelque désir de ne les croire plus, et un commencement d’incroyance. L’influence de l’autorité sur nos opinions est comme une influence atmosphérique; c’est un fait, il faut nous laisser dans ce fait si nous y sommes, et si l’on estime qu’il est bon que nous y soyons; mais bien se garder de nous féliciter d’y être, et de nous dire que cela est très raisonnable ; car nous voyons à l’effort même qu’on fait pour transformer ce fait en une raison, qu’il n’en était pas une. A tous les points de vue, la théorie du consentement universel est très irrationnelle et très dangereuse.

Quoi qu’il en soit, tel était l’état d’esprit de Lamennais de 1815 à 1830, depuis le premier volume de l’Essai sur l’Indifférence jusqu’à l’essai sur les Progrès de la Révolution (1829) : anti-protestant, anti-gallican, anti-libéral, anti-individualiste, catholique ultramontain, c’est-à-dire catholique international, c’est-à-dire catholique universel ; il voulait franchement un pouvoir spirituel unique, ami du peuple, des pauvres et des souffrans, maintenant l’unité morale du genre humain, servant la cause du progrès moral et intellectuel, et qui fût la papauté. Et la nécessité de croire à ce qu’enseignait ce pouvoir spirituel, et la convenance de lui obéir, il essayait de les prouver en démontrant que l’enseignement dispensé par ce pouvoir était ce que l’humanité avait toujours cru.