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trois grands catholiques le résultat naturel de leurs réflexions sur le XVIIIe siècle et sur la Révolution française. Il y a, de 1810 à 1830, (de Maistre est mort en 1821 ; mais c’est à partir de sa mort que ses grands ouvrages ont été répandus) comme un triumvirat de philosophie catholique dont les membres ne se voient point ou ne se voient guère, mais dont les manifestes et les actes sont presque en parfait accord.

Le rêve de Lamennais, comme de De Donald et comme de De Maistre, c’est bien la domination universelle du catholicisme, et ses haines sont bien les mêmes ; surtout elles sont les mêmes que celles de Joseph de Maistre. Il déteste le protestantisme, le gallicanisme et le libéralisme, c’est-à-dire tout ce qui, en détachant les hommes de Rome, les détache les uns des autres, brise le lien, dissout la communauté, disperse la cité de Dieu, c’est-à-dire la cité humaine, n’y ayant de cité humaine que dans la cité divine. Le protestantisme a prouvé qu’il n’était en son fond que l’individualisme, que le désir de penser librement, c’est-à-dire, au vrai, le désir de ne pas penser comme son voisin. Le protestantisme fait appel à l’inspiration personnelle, compte sur elle et se confie à elle. Qu’est-ce que l’inspiration personnelle ? Quelle preuve a-t-elle de sa légitimité ? « La persuasion la plus invincible qu’on est réellement inspiré ne prouve rien, puisque tous les enthousiasmes ont cette persuasion. » L’inspiration vraie est une inspiration sociale, en quelque sorte ; la certitude, si elle est quelque part, doit être « dans la société, dépositaire des vérités que l’homme reçut de Dieu à l’origine. » — Inspiration particulière, sentiment religieux personnel, ce ne sont là que des synonymes de l’orgueil et de l’aberration. Le protestant est un fou qui commence, comme le déiste est un homme qui ne vit pas assez longtemps pour devenir athée. Car le fou, le maniaque, le monomane n’est pas autre chose qu’un homme qui, contre le sentiment de tous les autres, affirme une opinion que tout le monde repousse, en prétendant qu’il suffit qu’il l’ait pour qu’elle soit vraie, et la chérit d’autant plus que tout le monde la conteste. Rousseau est un beau cas : « Quand tous les philosophes prouveraient que j’ai tort, si vous sentez que j’ai raison, n’en demandez pas davantage. » Il est sur la pente ; il va dire tout à l’heure : Quand tous les hommes prouveraient que j’ai tort, si je sens que j’ai raison je n’en veux pas plus. Et c’est bien à peu près à cet état d’esprit qu’il est arrivé. Le sens propre, quand il s’exalte, en arrive toujours là, et il arrive