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bonnes pour lui, suffisamment certaines pour son usage et suffisant à le conduire, et qu’il peut tirer de l’étude de lui-même et de son histoire ; — ni le scepticisme progressiste, si je puis dire, le scepticisme mêlé de l’idée du progrès, qui suppose que la vérité n’existe pas, mais qu’elle devient, qu’elle se fait, que nous la faisons peu à peu, qu’elle existera peut-être un jour et que nous en jouissons à l’aider à être, beaucoup plus, peut-être, que nous n’en jouirions à la posséder ; — aucune forme du scepticisme ne l’a jamais atteint, ni peut-être même effleuré. La vérité est toujours devant lui, pleine et éclatante, en lui pleine et jaillissante ; et elle est ce qu’il croit pour le moment et ce qu’il croit toujours comme s’il l’avait toujours cru, et ce qu’il est sûr d’avoir cru toujours.

Ce n’est pas orgueil ; ou ce n’est pas seulement orgueil, c’est amour de la certitude devenu certitude même. Il est impossible que ce qu’on aime tant ne soit pas le vrai. Il a quelque part un mot profond, digne de Pascal : « La vie est une sorte de mystère triste, dont la foi a le secret. » Mystère et tristesse, c’est bien ce qu’il a vu dans la vie, seulement mystère et tristesse que le doute redoublerait, que la foi dissipe, une foi, celle de l’Église d’abord, celle de Lamennais ensuite, mais une foi toujours, une affirmation ardente, entêtée et fougueuse, seule capable, même orageuse, et si mêlée de tempêtes et si douloureuse qu’elle puisse être, d’arracher l’âme au tourment morne, à l’anxiété silencieuse, à l’effroi dans la nuit où nous plongerait, où nous retiendrait, l’incertitude.

De tout cela s’est formé d’abord un théocrate intransigeant, qui ne différait de De Maistre et de Donald que par la rigueur de logique qu’ils avaient et qu’il n’avait pas, et par la puissance d’éloquence que déjà il avait plus qu’eux. Dans cet Essai sur l’Indifférence, toutes les idées chères et familières à de Maistre et à Donald, et qu’il ne leur empruntait pas, écrivant en même temps qu’eux, se retrouvent à toutes les pages. Unité, continuité, signes, d’une part, de vérité dans une institution religieuse, comme aussi dans une institution politique ; nécessités, d’autre part, de tout établissement destiné à assurer le bonheur des hommes ; horreur de l’individualisme, besoin de ramasser, de contracter autour d’une idée et dans une discipline morale unique l’humanité qui se disperse et se dissémine comme en poussière ; ces idées, il faut bien savoir que, très éloignés les uns des autres, de Maistre, de Donald et Lamennais les ont eues ensemble. Elles sont chez les