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ne nous a donné, en détail et comme minutieusement, un de ces spectacles-là.


I

C’était une âme très pure et très noble, aussi éloignée des préoccupations intéressées et des voies du siècle qu’il soit possible, candide, crédule et naïve, simple et sans prétentions, très aimante, constante et délicieusement expansive dans ses affections, comme on le voit dans sa correspondance ; aimant à être aimée, en ayant même un insatiable besoin, et dans le dernier degré de la stupéfaction quand elle ne rencontrait pas la sympathie qu’elle s’assurait qui lui était due. Scherer n’a pas eu tort de dire : « Il y a du Rousseau, dans cet homme-là. »

De tels hommes paraissent toujours méchans, ce qu’ils ne sont aucunement, ce dont ils sont le contraire. C’est qu’il est rare qu’ils ne soient pas irritables. Leur candeur est pour eux une source perpétuelle de déceptions, et leur besoin d’aimer une occasion d’incessantes meurtrissures, et, parce qu’ils s’aigrissent, ils ont l’air d’être nés aigris. Lamennais fut irritable d’assez bonne heure, et les luttes qu’il eut à subir en firent l’éternel exaspéré que l’on connaît. Notons du reste qu’il avait peut-être l’esprit naturellement satirique, ce qui est un commencement. C’est dans ses premières œuvres qu’on lit ce petit portrait à la La Bruyère : « C’est bien le meilleur homme du monde que Physcon; il n’a rien à lui, pas même sa conscience : tout est à ses amis et il a constamment eu le bonheur de compter parmi eux tous les gens au pouvoir. On le trouve dans leur cabinet, à leur table, d’où il sort le dernier, plein d’admiration pour ce qu’ils ont dit et pour ce qu’ils diront. Ce n’est pas qu’il soit flatteur. Dieu l’en garde ! Il hasardera même de montrer une opinion, ne fût-ce que pour l’abandonner ensuite à propos. Un « je me trompais » a souvent tant de grâce et peut conduire un homme si loin ! Ne croyez pas cependant que Physcon désire les emplois ; seulement il les accepte ; car enfin l’on doit se rendre utile... Membre d’une assemblée politique, il s’approche modestement du régulateur de sa raison législative : « Monseigneur, qu’est-ce qui est vrai aujourd’hui? » Monseigneur le lui dit, et le voilà tranquille... »

Mais les deux traits essentiels de Lamennais, c’est qu’il était né Breton et orateur. — Le Breton est entêté, quand il n’est pas mêlé