Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour mathématicien, pour peintre, pour philosophe et même pour savant, n’y ayant rien dans tout cela qui soit digne d’eux et qu’ils n’aient de commun avec une infinité de gens et même de sottes gens. » « On leur donne une grande horreur de la pédanterie, dit-il dans une autre partie du Mémoire, et l’archevêque de Cambrai, leur précepteur, est persuadé qu’il vaudroit mieux qu’un prince fût tout à fait ignorant en ce qui regarde les belles-lettres et les arts que de les savoir d’une manière savante. »

En revanche, on voulait qu’ils apprissent solidement le latin, et, pour l’enseigner au duc de Bourgogne sans le rebuter, Fénelon s’écarta des méthodes qui étaient alors en honneur dans l’Université. À ce qu’on appelait des thèmes de règle, c’est-à-dire à une série de phrases sans suite qui fournissaient uniquement à l’élève l’occasion d’appliquer les règles de la syntaxe, il substitua des thèmes dont il prenait soin d’abord de composer lui-même la matière, et qu’il s’efforçait de ne point rendre trop arides. « Tout ce qui réjouit l’imagination facilite l’étude », avait-il dit dans l’Éducation des filles. Fidèle à ce principe, il composait lui-même des historiettes qu’il donnait au jeune prince à traduire en latin. Plus tard il lui proposait comme matière des textes tirés des fables mêmes de La Fontaine. Ce sont ces thèmes que, sous le titre de Fabulæ selectæ Joannis de La Fontaine, les éditeurs successifs de Fénelon ont joints à ses œuvres, bien que ce ne soient, à vrai dire, suivant l’expression de Sainte-Beuve, que des corrigés[1]. De là, sans doute, les relations qui se nouèrent entre le jeune prince et le vieux fabuliste, « aussi religieux alors et aussi austère dans sa conduite, dit l’abbé Proyart, qu’il avait été licencieux dans une partie de ses œuvres. » « Ce poète, ajoute-t-il, uniquement occupé de son salut, n’eût plus pensé à composer si le duc de Bourgogne ne lui eût remis la plume à la main et ne lui eût de nouveau échauffé la verve. » Le bon abbé arrange ici les choses un peu comme il aurait voulu qu’elles fussent. La vérité est qu’au moment où, sous les auspices de Fénelon, La Fontaine eut accès auprès du duc de Bourgogne, c’est-à-dire en 1690, — et composa même quelques fables sur des sujets fournis par lui, — il était préoccupé de tout autre chose que de son salut, car il vivait encore dans la société du Temple, dans l’intimité de Vendôme, de La Fare et de Chaulieu. Sa conversion ne date que de

  1. Œuvres complètes, t. VII, p. 517-518.