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du matin, ils ne prenaient qu’un morceau de pain sec ou tout au plus quelque biscuit et un verre d’eau. Leur souper était toujours égal : un gigot de mouton, une longe de veau ou un aloyau, avec quelque gibier ou volaille, sans aucun ragoût, et pour le fruit un seul massepain ou quelque écorce d’orange.

Dans cette proscription presque absolue des ragoûts, dans ce régime du pain sec et de l’eau se retrouvent les principes posés par Fénelon dans l’Éducation des filles, lorsqu’il conseille de faire aux enfans un sang pur. Mais pour le reste c’est l’influence de Beauvilliers qui va dominer : « Pour les exercices qu’on leur fait faire, continue Louville, ils sont tels qu’aucun bourgeois de Paris ne voudroit hasarder un pareil régime sur ses enfans... On les élève comme s’ils devoient être un jour des athlètes, et M. le duc de Beauvilliers est tellement persuadé qu’un prince infirme n’est bon à rien, surtout en France où il faut qu’ils commandent leurs armées en personne, que tous les accidens que l’on peut envisager sur cela ne l’ont jamais détourné de son projet. » Quelque chaud, quelque froid, quelque vent qu’il fît, les jeunes princes ne sortaient jamais que tête nue. Ils se promenaient tous les jours à pied ou à cheval par tous les temps. On les laissait courir et se mettre en sueur librement, et jamais on ne les faisait changer de chemise, excepté lorsqu’ils avaient joué à la paume. Mais on ne les frottait ni ne les couchait comme les autres joueurs. Jamais on ne s’embarrassait de leurs rhumes pour les empêcher de sortir. Jamais non plus on ne les saignait ni ne les purgeait, ce qui était la mode médicale du temps. On leur donnait seulement du quinquina quand ils avaient la fièvre.

Ne semble-t-il pas que quelques-uns de ces principes d’hygiène aient devancé ceux de l’Emile, et que Rousseau les aurait approuvés? Mais si les Enfans de France étaient traités plus rudement que des fils de bourgeois de Paris, leur qualité de princes se retrouvait dans l’emploi de leurs journées. Ils se levaient à sept heures trois quarts, étaient prêts à huit heures, et entendaient d’abord la messe. Ils se rendaient ensuite au lever de Monseigneur, puis à celui du Roi, pour leur souhaiter le bonjour. A neuf heures et demie ils rentraient chez eux, et faisaient ce qu’ils voulaient avec leurs gentilshommes de la manche. A dix heures, étude jusqu’à midi. A midi, dîner, soit en public, et alors ils étaient servis par le premier maître d’hôtel, soit au petit couvert (il en était ainsi en particulier les jours maigres), et alors ils étaient servis par leur