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fougues à faire craindre que tout ne se rompît dans son corps; opiniâtre à l’excès, passionné pour toute espèce de volupté, et, ce qui est rare à la fois, avec un autre penchant tout aussi fort... Un goût ardent le portoit à tout ce qui est défendu au corps et à l’esprit. Sa raillerie étoit d’autant plus cruelle qu’elle étoit plus spirituelle et plus salée, et qu’il attrapoit tous les ridicules avec justesse... Tout ce qui est plaisir, il l’aimoit avec une passion violente, et tout cela avec plus d’orgueil et de hauteur qu’on ne peut exprimer... regardant les hommes, quels qu’ils fussent, comme des mouches et des atomes, avec lesquels il n’avoit aucune ressemblance... Dangereux de plus à discerner et gens et choses, et à percevoir le faible d’un raisonnement, et à raisonner plus fortement et plus profondément que ses maîtres... Souvent farouche et porté à la cruauté. »

Tel aurait été, s’il fallait en croire Saint-Simon, le duc de Bourgogne quand il sortit des mains des femmes. Certes, le portrait est incomparable. Les traits en sont si saillans et si vifs qu’ils sont demeurés gravés dans toutes les mémoires. Est-il ressemblant? Oui, assurément, dans les grandes lignes; mais Saint-Simon, toujours porté à l’hyperbole, n’a-t-il pas un peu noirci la figure de l’enfant, pour rendre par contraste plus pure et plus brillante celle du jeune homme? Lorsque Beauvilliers et Fénelon furent chargés de l’éducation du duc de Bourgogne, n’oublions pas qu’il avait sept ans. Est-il possible que tant de passions et tant de vices germassent déjà dans cette petite âme, et que la colère, l’orgueil, le penchant à la volupté et à la cruauté y eussent déjà si vigoureusement poussé? Par malheur les témoignages font un peu défaut pour contrôler le jugement de Saint-Simon. Dangeau et Sourches ne disent rien du caractère du duc de Bourgogne. Ils sont bien trop réservés pour cela, et quant à ses biographes, comme ce sont tous des panégyristes, ils ne nous parlent de ses défauts que dans la mesure nécessaire pour exalter ses vertus. Suivant Proyart, « sa fierté alloit jusqu’à lui inspirer le mépris de l’instruction qui rappelle au disciple sa dépendance du maître. Il étoit en garde contre les caresses, et il se raidissoit contre les menaces. » Il convient également que le défaut capital du duc de Bourgogne était la colère, et qu’il s’y livrait parfois jusqu’à l’emportement et à la violence[1].

Le Père Martineau, son confesseur, avoue qu’il a paru avoir

  1. Vie du Dauphin, père de Louis XV, par M. l’abbé Proyart, t. I, p. 11-14.