Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/535

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme faits rien n’est exact, comme jugement rien n’est juste dans cette page célèbre, sauf ce qu’il y est dit des charmes, des grâces, de la douceur, et sauf ce trait de « l’esprit coquet qui vouloit plaire à tous. » Dans la vie de Fénelon, il n’y a aucune trace de ces relations successives, d’abord avec les jésuites, puis avec les jansénistes, et cette accusation de versatilité intéressée que Saint-Simon porte contre lui ne repose sur aucune preuve. Quant à sa liaison avec Saint-Sulpice, Fénelon n’avait pas eu besoin « de tourner longtemps autour sans y être admis », puisqu’il y était entré au sortir de ses humanités et qu’il y avait fait toutes ses études théologiques. Par le fragment de lettre que nous avons cité, on a pu voir combien affectueuses et confiantes avaient été, dès le début, ses relations avec ses maîtres de Saint-Sulpice. Les années qui s’étaient écoulées depuis sa sortie du séminaire n’avaient rien enlevé à l’intimité de cette relation. M. Tronson était demeuré le confesseur de Fénelon. Il était aussi celui du duc de Beauvilliers. Ces deux illustres pénitens d’un humble prêtre dont le nom est à peine arrivé jusqu’à l’histoire, durent avoir l’occasion fréquente de se rencontrer chez lui, et les Sulpiciens n’eurent nul besoin de présenter Fénelon à Beauvilliers comme un précepteur convenable pour le duc de Bourgogne, car ils se connaissaient avant que Beauvilliers eût été nommé gouverneur du prince. Une douce influence qui s’exerçait discrètement sur Fénelon et sur Beauvilliers avait dû contribuer d’ailleurs à rendre leur liaison encore plus intime.

On sait les paroles de Colbert mourant : «Si j’avais fait pour Dieu la moitié de ce que j’ai fait pour cet homme (le Roi), je serais sauvé dix fois, et je ne sais ce que je vais devenir. » Par quel mystère de la nature ou par quelle influence de l’éducation (peut-être celle de Mme Colbert), se fit-il que les trois filles de ce ministre un peu mécréant comptèrent parmi les femmes non pas seulement du mérite le plus solide, mais encore de la piété la plus éprouvée, dans un temps où ni le mérite ni la piété n’étaient rares? Colbert avait profité de la faveur du Roi, qui valait ce que vaut la dot de nos jours pour les bien marier. Toutes trois furent duchesses. — L’aînée épousa le duc de Chevreuse, la seconde le duc de Beauvilliers, la troisième, de beaucoup la plus jeune, le duc de Mortemart. La rapide élévation de cette famille, et les tabourets auxquels les filles d’un ministre peu aimé avaient, par leur mariage, acquis le droit n’avaient pas laissé d’exciter l’envie et la