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d’exécution, qui aurait été le gage d’une réalisation complète ; mais il n’y a pas eu même ce commencement. Du moins, il n’en est pas fait mention dans la réponse du gouvernement hellénique. Il est possible, — certaines dépêches donnent à le croire, — que quelques navires grecs aient déjà retourné leur proue du côté du Pirée. Si cela est, la situation en est peut-être légèrement modifiée en fait ; en droit, elle reste exactement la même. L’Europe n’a obtenu aucune assurance satisfaisante. En revanche, la réponse qu’on lui a faite a été longue. Le gouvernement hellénique, qui ne voulait pas dire oui, s’est bien gardé de dire non. Il a fait connaître ses vues ; il a ouvert son cœur ; il a donné des explications ; il a essayé de poser des conditions. Sa note est habile, insidieuse même. La forme en est très conciliante. Si la Grèce ne cède sur aucun point aux injonctions des puissances, du moins elle veut bien dire pourquoi. Qu’espère-t-elle par là ? Gagner du temps sans aucun doute, et peut-être aussi, par un ton approprié, intéresser de plus en plus l’opinion à sa cause, dans certains pays où elle a une tendance à se montrer propice. Par l’opinion, on agit sur les gouvernemens, ou du moins sur quelques-uns d’entre eux ; et qui sait si l’intime accord maintenu jusqu’ici entre eux tous, à travers des péripéties ignorées du public, résistera et survivra à cette nouvelle et adroite tentative d’un petit peuple qui, dès la plus haute antiquité, a inventé la rhétorique, la logique, la sophistique même, et qui, sous ce rapport encore, a su rester fidèle à la subtilité de ses traditions ? Quoi qu’il en soit, la réponse du gouvernement hellénique mérite, comme œuvre d’art, d’être hautement appréciée. Dans la situation où ce gouvernement s’est placé, il ne pouvait pas mieux faire, — à moins pourtant de s’incliner devant la volonté de l’Europe, que de protester de sa ferme intention de ne rien faire qui pût compromettre la paix générale qu’on dit être en cause, et de s’en remettre à l’équité et à la générosité des puissances du soin de reconnaître ce qu’une pareille attitude aurait eu de digne et de méritoire. Cette réponse aurait été d’une habileté supérieure à toute autre ; mais elle était beaucoup trop simple, et nous ne sommes pas surpris que la Grèce en ait fait une autre.

Elle s’est déclarée disposée à retirer sa flotte, à une condition toutefois, à savoir que les escadres réunies des grandes puissances ne permettront pas le débarquement des troupes ottomanes dans l’île. C’est pour empêcher ce débarquement que la Grèce a envoyé des navires dans les eaux crétoises, mais elle ne tient pas au moyen pourvu que le but reste assuré, et si les puissances veulent bien assumer la tâche qu’elle leur assigne, la Grèce consentira à s’en décharger sur elles.