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que la Grèce, peut-être dégénérée à quelques autres égards de ce qu’ont été ses glorieux ancêtres, a conservé de leurs traditions un art de mise en scène qui tient l’attention toujours en éveil. Sa manière de jouer avec l’Europe, — nous employons les termes les plus flatteurs pour l’une et pour l’autre, — est incontestablement le chef-d’œuvre d’un genre dont on avait déjà vu quelques modèles, mais non pas aussi achevés.

Les puissances ont regardé comme impossible, inacceptable, intolérable de laisser les Grecs en Crète. Il aurait mieux valu les empêcher d’y aller. Les Grecs ont encore conservé ceci de leurs aïeux qu’ils annoncent leurs projets avec un certain fracas, et que la trompette de la Renommée est volontiers leur porte-voix familier. Ils disent très haut ce qu’ils ont l’intention de faire. On pourrait même croire, par instans, qu’ils prennent ces précautions retentissantes afin qu’on en prenne d’autres correspondantes, qui seraient de nature à les arrêter au bord même d’une faute. Mais s’ils ont eu par hasard cet espoir, c’est que, pour une fois, ils ont méconnu l’Europe. L’Europe commence par laisser faire ce qu’on a la déférence de lui annoncer ; après quoi, elle s’en émeut grandement. Elle se concerte alors pour rechercher la meilleure manière d’y obvier. Elle est ainsi ; on ne la changera pas. C’est déjà beaucoup qu’après avoir laissé aux événemens le temps de prendre sur ses résolutions une large avance, elle arrive enfin à fixer et à exprimer une volonté commune. Après plusieurs jours de délibérations, l’accord des puissances a été complet. La note qui a été remise à la Grèce en date du 5 mars a été formelle. L’Europe a demandé deux choses, qui se résument en une seule, le rappel de la flotte et le retrait des troupes helléniques envoyées en Crète. C’est donc une véritable sommation que l’Europe a adressée à la Grèce : elle ne pouvait être sérieuse et efficace qu’à la condition de contenir un terme fixé d’avance à son exécution. L’Europe n’a pas reculé devant cette partie de sa tâche. La dernière phrase de sa note a été presque menaçante. « Le gouvernement hellénique est prévenu qu’en cas de refus, les puissances sont irrévocablement déterminées à ne reculer devant aucun moyen de contrainte si, à l’expiration du délai de six jours, le rappel des navires et des troupes n’est pas effectué. » Effectué, vous entendez bien. Il ne s’agissait pas d’obtenir une simple promesse ; l’Europe exigeait que le rappel fût chose terminée au bout de six jours. C’était de sa part demander beaucoup : aussi ne lui a-t-on accordé rien du tout. Dans sa pensée secrète, elle aurait été probablement satisfaite d’un simple commencement