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harmonies y retentissaient, faisant ondoyer la danse des ombres. La mélodie vibrait plus attirante, la ronde allait de-çà de-là. Mais nous, nous passâmes tristes et sans espoir sur la vaste mer. » Donc qu’on ne l’abuse pas par de vaines promesses ; et ne sait-il pas que tout ce qu’il y a de plus beau sur la terre, le printemps et l’amour, doit misérablement périr ? Et lui-même au moment où il exprime sa douleur, n’a-t-il pas conscience qu’en l’exprimant il l’épuise ? Laissez passer un peu de temps, il n’y aura plus trace des chagrins passés dans la chanson nouvelle.

Si encore, au lieu de l’amour, il pouvait se contenter du plaisir ! Maintes fois il l’a essayé, et il a cru qu’il avait exorcisé le fantôme d’un rêve impossible. « Tu ne m’aimes pas, tu ne m’aimes pas ; ce n’est pas cela qui me chagrine ; cependant pourvu que je puisse regarder tes yeux, je suis content comme un roi. » Il ne l’est pas. La jouissance sensuelle ne lui suffit pas. Il sent en lui, malgré lui, l’aspiration vers une tendresse idéale. Dans les bras des amantes de rencontre, il est poursuivi par l’image immatérielle de Maria la morte. C’est toujours ce même jeu des contradictions et ce même désaccord d’avec soi. Par suite et inversement, le poète n’est jamais si près d’être réellement ému qu’à l’instant précis où il raille son émotion. Il se reproche sa sottise ; il sait que le soleil, la lune, les étoiles en éclatent de rire : « Moi je ris avec eux… et je meurs. » Il se rend compte qu’il joue la comédie des discours amoureux, et pris dans ses propres filets la plaisanterie devient au même moment pour lui chose sérieuse. « L’heure est venue enfin de renoncer sagement à ma folie ; il y a si longtemps que, pareil à un histrion, je joue la comédie avec moi-même. Les décorations magnifiques étaient peintes dans le haut style du romantisme ; j’avais un manteau de chevalier étincelant d’or et j’étais parfumé des sentimens les plus délicats. Hélas ! à présent que je suis redevenu sage et que j’ai renoncé à cette folle sentimentalité, je me sens toujours malheureux comme si je jouais encore la comédie. O mon Dieu ! C’est qu’en plaisantant et sans en avoir conscience j’ai exprimé ce que j’éprouvais réellement ; et j’avais la mort dans la poitrine quand je jouais le rôle du gladiateur mourant. » Sentir très vivement et rester très clairvoyant, ne pouvoir être dupe pas même de soi, se déprendre à mesure des chimères auxquelles on ne peut renoncer, renier les émotions dont on porte en soi la blessure, tel est ce supplice. Il n’est pas exact de dire que tout ironiste soit un sentimental ; l’ironie, la plupart du temps, ne trahit que la sécheresse du cœur. Et de même il est vrai que la sentimentalité s’accorde volontiers