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vaticinante déjà, mais qui vivait pourtant d’une vie autrement vraie et vivante que la Véronique de Messidor. Le motif du moulin même était très supérieur à celui de la machine. Et puis quelque chose là de temps en temps se développait. Il y avait dans l’Attaque du moulin comme des haltes propices au lyrisme, à l’émotion, à l’épanouissement de la pure musique. Presque tout avorte dans Messidor, ou meurt aussitôt né. Prenez-en les premières pages, les meilleures pourtant. Vous y trouverez trois notes, que peut-être vous reconnaîtrez. C’est par elles que débute une belle mélodie de Lalo : l’Esclave. Mais pour Lalo ces trois notes ne sont qu’un commencement en effet ; une ample période, une cantilène les suit. Elles sont tout pour M. Bruneau. Ce germe ou cette amorce lui suffit. Ce qu’il y ajoute, ce qu’il en tire n’est rien. Comparez les deux passages ou les deux idées, et vous comprendrez mieux que par tous les raisonnemens du monde ce qui est mélodie, ce qui est musique, et ce qui ne l’est pas.

Ces pauvres, ces courtes idées, M. Bruneau se donne beaucoup de mal pour les associer. Il y arrive quelquefois. Mais ne savez-vous pas qu’en musique on arrive à tout ? Il me souvient qu’enfant j’essayais volontiers au piano de jouer avec la main droite la gamme d’ut naturel en même temps que celle d’ut dièse avec la main gauche, et cela aussi, j’y arrivais. A l’harmonie, au contrepoint de M. Bruneau ce genre de beauté n’est pas toujours étranger. C’est un des inconvéniens, un des malheurs de l’art ou du métier musical, que les notes ne se défendent pas et se laissent contraindre. Mal ajustées, portant à faux, que ne font-elles comme les pierres, qui — elles du moins — ne tiennent pas et tombent !

L’orchestre même, cet orchestre dont la plupart de nos musiciens d’aujourd’hui savent jouer en virtuoses, l’orchestre de Messidor est sans couleur, sans ingéniosité, sans grandeur ni puissance. Le ballet surtout a cruellement laissé paraître le néant de la symphonie. Il est toujours facile, avec les procédés du drame lyrique moderne, de composer à son usage personnel une psychologie des leitmotive et des timbres. Il est plus difficile de l’imposer. Je crains un peu que M. Bruneau reste seul à goûter le calme austère de ses violoncelles et la fraîcheur de ses flûtes, et je ne sais pas de plus vilains exercices que ceux auxquels se livrent les violons — peut-être aussi les harpes — toutes les fois qu’il est question de la légende de l’Or et du petit Jésus.

A d’autres points de vue encore, il serait possible de faire voir l’inanité de cette musique, son impuissance à tracer des caractères ou seulement à poser des personnages, à traduire surtout le dialogue,