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marché le plus ouvert. Bien plus, il a considéré qu’il tirerait de cette situation une part de sa puissance.

Rappelons-nous ces mots d’un député au Reichstag allemand qui s’écriait, le jour où l’on discutait la constitution d’un Trésor de guerre : « Ne le déposez donc pas en or dans la tour Julius à Spandau ! Employez-le à l’achat de valeurs étrangères, qui seront entre vos mains une arme à double tranchant : en temps de paix, elles vous rapporteront des intérêts qui grossiront votre réserve ; au jour de la déclaration de guerre, vous jetterez sur les marchés du dehors les titres enfermés dans vos caisses ; vous contribuerez à ruiner, dès le début d’une campagne, le crédit de votre ennemi, et vous lui retirerez la disponibilité des sommes dont il aura besoin pour racheter ses rentes ainsi offertes par vous. »

Il y aurait des objections à faire à cette théorie, ne fût-ce que la perte considérable de capital qu’impliquerait la brusque réalisation, au moment même d’une panique causée par la déclaration de guerre, de centaines de millions de rentes. Mais tout en reconnaissant le côté paradoxal de cette boutade, nous ne devons pas oublier la part profonde de vérité qu’elle contient. D’ailleurs il ne faut pas croire que cette idée soit toujours restée à l’état de théorie et n’ait jamais été appliquée : elle l’a été, elle l’est encore dans un pays qui ne passe pas pour mal administrer ses finances. La Confédération helvétique possède en propre un certain nombre de titres étrangers, fonds d’Etat de premier ordre, qu’elle considère comme un actif précieux, une ressource certaine en cas de crise, un élément de force pour la nation. Sans aller jusque-là, sans demander que notre Trésor public place des réserves, que d’ailleurs nous ne lui connaissons pas, en rentes allemandes, nous demandons qu’on laisse en France les particuliers poursuivre paisiblement, dans la mesure où ils le jugeront eux-mêmes sage et utile, le placement d’une partie de leur fortune mobilière à l’étranger, certains que nous sommes que cette œuvre ne peut que contribuer à la solidité financière et par suite à la puissance économique et politique de la patrie.


RAPHAËL-GEORGES LÉVY.