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au maître et dit ses rancœurs de toute une année. Ses désirs se mêlent sur sa bouche, son amour du changement dépasse son respect de la logique : pas d’article sur le prix du blé qui ne s’achève par une déclaration de principe sur la question des écoles paroissiales et des écoles ministérielles. Car tout ici tient à tout ; une seule équation, mais à cent inconnues, s’offre à l’analyse qui la retourne, la tiraille, et ne la résout pas.

Comme, d’autre part, des questions nées de la vie même et qui importent à la vie ne peuvent demeurer pendantes, on comprend pourquoi, d’une manière légitime et nécessaire, le rôle suprême appartient ici à la volonté. Dans cette nation à l’état naissant, le souverain voit les choses sociales sous ces aspects changeans et soudains qui sont ceux du champ de bataille ; à cette grande lutte pour l’existence, aux cris, aux appels, aux plaintes, il mêle son ordre qui crée le devoir, sa parole qui devient l’action.

L’étude des affaires civiles réglées ainsi par l’autorité serait une haute et profitable étude militaire : la guerre aussi est un gouvernement. Mais sans s’aventurer dans des régions si transcendantes, on peut, des simples échos du jour, recueillir encore une utile leçon. La diversité des bruits n’empêchera pas qu’on n’observe entre eux quelque consonance sur les sujets de la propriété, de la vie rurale, de l’agriculture ; et ces thèmes importent à notre sujet puisque l’atmosphère morale dans laquelle le soldat respire, agit, combat et meurt dépend des conditions économiques dans lesquelles travaille le paysan.

Si bienfaisante qu’elle devait être par la suite, la libération des serfs troubla profondément d’abord l’équilibre social ; ce fut un tremblement de terre ; les portraits de famille se décrochèrent dans les galeries des châteaux ; les guérites se renversèrent sur les factionnaires ; les bateaux emportant le blé, rapportant le fer, chancelèrent sur la mer et perdirent le cap. Mais de même qu’un cataclysme géologique peut résulter d’une cause physique toute simple, de même qu’après la catastrophe cette cause persévère dans sa voie propre et selon sa pente, de même ici les effets de la réforme agraire allaient se multipliant, s’enchevêtrant, se précipitant loin du domaine rural : et cependant les faits du travail agricole n’avaient subi qu’une imperceptible variation.

Le pouvoir impersonnel du mir s’était substitué à l’autorité personnelle du propriétaire : rien de plus. Le paysan devenait libre, mais envers un seul homme et il s’assujettissait à tous les