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que de bonne volonté. Le soldat russe est mal mis ; la coupe de son vêtement ample, aux plis disgracieux, n’a ni la précision qui plaît à l’œil allemand, ni l’approximation utilitaire dont s’accommode le goût français ; au moins témoigne-t-elle d’une collaboration et d’une confraternité étroites, et fait-elle songer à ces pauvres ménages où, la femme habillant de ses mains toute la famille, le dévouement de l’épouse apparaît dans l’inélégance du mari.

Cependant, du général au soldat, le dialogue se poursuit par questions prévues et par réponses toutes faites :

— Un livre que tu trouves par hasard, as-tu le droit de le lire ?

Absolument pas.

— Si le commandant des troupes t’adresse la parole dans la rue, s’il t’accorde un éloge, à qui vas-tu rendre compte de l’honneur qui t’est fait ?

— Au commandant de la compagnie.

— C’est bien. Tu sais les choses.

Ravi de m’efforcer.

Des commandemens qui retentissent couvrent cette voix timide :


Na plé — tcho !
Na rou — kou !
Poloborot na lé — vo !


Ce sont des recrues qui exécutent un maniement d’armes dans le corridor. L’espace leur est si justement mesuré entre ces deux murs qu’ils doivent faire un pas en arrière avant de croiser les baïonnettes, un pas en avant pour mettre l’arme sur l’épaule gauche. Le général remercie les diadkas[1], car partout il parle avec simplicité : « leurs élèves sont en bonne voie bien qu’éloignés encore des anciens soldats… »

D’autres attendent, en file indienne, devant le mannequin qui sert pour l’escrime à la baïonnette ; le premier s’élance, s’arrête tout d’un bloc, les jambes écartées, jette le coup de pointe ; un éclair brille dans ses yeux.

— Bien adressé, frère.

Ravi de m’efforcer.

Il fait une retraite du corps, se détourne, rentre et se fond

  1. Les petits oncles, soldats instruits et de confiance, chargés de former les recrues au détail du service et de la vie intérieure.