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des fabricans de sucre et des cultivateurs ne firent que s’aigrir. Les fabricans avaient commis la très grosse faute de ne pas intéresser les cultivateurs, par des majorations de prix, à leur fournir de bonnes racines ; ils achetaient à prix invariable et expiaient durement leur imprévoyance.

Je pensais souvent à cet appauvrissement des betteraves en sucre, quand, au cours d’une excursion que je fis dans le département du Nord en 1872 avec les élèves de Grignon, je me décidai à reprendre cette étude. Nous fûmes reçus à la célèbre ferme de Masny, par M. Fievée, cultivateur et fabricant de sucre, qui, très préoccupé de la diminution de qualité de ses racines, employa pour la caractériser une expression familière qui m’est toujours restée dans l’esprit. « Maintenant, me disait-il, nous n’avons plus que de mauvaises betteraves ; il n’en était pas ainsi il y a quelques années, nous plantions alors des bâtons de sucre d’orge. » M. Fievée disait que sa terre était surmenée par des cultures de betteraves trop souvent répétées ; puis, voyant combien je prenais d’intérêt à ses doléances, il m’engagea vivement à essayer de résoudre le problème dont la solution importait à toute l’agriculture du nord de la France.

Son insistance me décida ; rentré à Paris, je m’ouvris de mes projets à mon excellent maître M. Frémy, professeur au Muséum, chez qui j’avais débuté vingt ans auparavant ; son laboratoire était voisin de celui que j’occupais, et nous résolûmes d’entreprendre les recherches en commun. De grands tonneaux furent remplis de terres artificielles de composition connue, auxquelles on ajouta des engrais en poids parfaitement déterminés, puis on procéda aux semailles ; les betteraves se développèrent et, quand elles eurent atteint leur maturité, on les soumit aux analyses ; on ne se borna pas à déterminer la quantité de sucre qu’elles renfermaient, on chercha en outre quelle était leur teneur en matières azotées. Ces analyses dévoilèrent un fait d’un haut intérêt : les betteraves riches en sucre étaient pauvres en matières azotées, et réciproquement celles qui étaient riches en azote ne renfermaient que de petites quantités de sucre.

Ces premiers résultats furent confirmés par l’analyse de nombreuses betteraves prises dans les cultures de Grignon, ou envoyées du département du Nord et de celui de l’Aisne. Toujours on trouva que la pauvreté des racines en sucre coïncidait avec leur richesse en azote. La lumière était faite ! Ce n’était pas du tout