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se réjouir des progrès obtenus, serait injuste. Pourtant le contraire arrive : de fataliste qu’il était précédemment, soumis sans révolte à un sort qui lui paraissait immuable, le prolétaire, par le seul fait que ce sort s’est amélioré, souhaite, exige qu’il s’améliore davantage. Et c’est là un sentiment très humain. Le prix du labeur manuel a néanmoins grandi en ce siècle plus que celui du labeur intellectuel. Bénéfice indirect, auquel on ne s’attendait pas, du développement de l’instruction, et résultat admirable, — la majorité de la nation besognant de son corps, — que celui d’élever la valeur de cette besogne par rapport à la besogne d’esprit, réservée forcément à un petit groupe. Les 200 francs mensuels de notre maçon semblent peu de chose peut-être ; mais combien de diplômés insignes sur le pavé, arrêtés partout en leur essor ! combien d’artistes qui se jouent de toutes les difficultés, sauf de la difficulté de gagner 200 francs par mois !

L’Etat, qui se flatterait en vain d’enrichir le peuple de son autorité propre, contribuerait à l’ennoblir en lui réservant quelques-unes de ses récompenses honorifiques. Il est singulier que l’on ne songe presque jamais à décorer des ouvriers. Un maître-compagnon, nommé Maffrand, fut fait, il y a quinze ans, chevalier de la Légion d’honneur ; très apprécié des architectes, pendant les trente ans qu’il avait exercé son état, aucun accident n’était survenu à un maçon sous ses ordres, si grands étaient les soins qu’il prenait dans l’orientation des échafauds. De pareils hommes ne seraient pas difficiles à trouver parmi les millions de salariés français ; signaler leurs mérites, égaux dans une sphère plus modeste à ceux des notables commerçans ou des fonctionnaires, serait un acte de juste démocratie.


VI

Les pierres de taille, dans nos maisons, ne servent qu’aux façades sur rues et sur cours ; les murs mitoyens sont tous construits en meulières. Le moellon est complètement délaissé, bien que son prix d’achat soit beaucoup moindre ; mais ce calcaire grossier, roche imparfaite, a l’inconvénient de contenir du bousin — partie tendre — que les ouvriers purgent mal et qui produit un fort déchet. Ce déchet et le temps nécessaire pour la préparation du moellon, assez difficile à travailler s’il est dur, le rendent moins avantageux que la meulière. Celle-ci ne demande aucune