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empare. Il vérifie le niveau des lits, qui sont « maigres » parfois, c’est-à-dire légèrement concaves, la rectitude des arêtes qui ont pu être « châtrées » ou « assommées » par le tailleur de pierre. Assisté enfin du « contre-poseur » et du « ficheur », il cale le morceau à sa place sur de très minces coins de bois, qu’il fera sauter plus tard lorsque le plâtre fin, glissé, « luté » sous la pierre, sera complètement sec.

La construction est-elle importante ? Au lieu d’une sapine on en établit trois ou quatre, voire davantage ; une machine à vapeur de trente chevaux suffit pour en faire tourner huit et remplit l’office de quarante hommes. Tous les matériaux montent ainsi sans effort ; mortiers ou meulières sont expédiés aux limousins par les garçons, qui n’ont plus à porter la flotte sur le dos, l’ « oiseau » sur la tête. On ne voit plus ces interminables échelles où les maçons superposés faisaient la chaîne, les moins vigoureux roulant les moellons sur leur poitrine, les autres à bout de bras les haussant jusqu’à leur camarade. Les entrepreneurs d’il y a cinquante ans seraient stupéfaits des pratiques actuelles, qui permettent de monter en quinze jours une façade pour laquelle on mettait trois mois.


IV

Ce n’est pas seulement la matière et les procédés qui, dans le bâtiment parisien, ont changé ; c’est aussi le sort des ouvriers. Les Mémoires de M. Nadaud, ancien garçon maçon, mort questeur de la Chambre des députés, contiennent le portrait tristement pittoresque des limousins de 1830 à 1848, de ces émigrans de la Creuse que chaque printemps ramène encore dans la capitale, et qui repartent aux premiers froids, comme les hirondelles, pour aller passer l’hiver à l’ombre du clocher natal.

Les débuts de Martin Nadaud, ne sont-ce pas ceux de tous les prolétaires de sa génération ? L’enfance au village en 1820, les difficultés que le père, maçon lui aussi, rencontre dans sa propre famille pour donner à son fils l’instruction élémentaire : « Ni mes frères, ni toi, ni moi, objecte le grand-père, n’avons jamais appris nos lettres et nous avons mangé du pain tout de même. » Et le vieux citait l’exemple de ceux qui, ayant étudié, étaient devenus « des faiseurs d’embarras, parfois la honte de leurs parens. » La grand’mère, une orpheline qui avait grandi