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d’ailleurs un peu partout des points d’appui dans l’île. Lorsqu’on a fait des remontrances au colonel Vassos, en lui disant que l’Europe s’était chargée des destinées de la Crète, et qu’il ne pouvait pas marcher à l’encontre des volontés de six grandes puissances, il a fait la seule réponse qu’il pût faire, à savoir qu’il suivait ses instructions. Que répliquer à un homme qui a une consigne ? La sienne lui ordonnait de s’emparer de tout l’île au nom du roi, son auguste maître : en conséquence, il a déclaré solennellement qu’il s’en était emparé. Il ne l’occupe pas tout entière ; mais n’importe, il la regarde comme à lui, et, dans la faible partie qu’il détient, il s’est empressé de procéder à la réorganisation politique et administrative du pays, ce qui était la meilleure manière d’y manifester le changement de souveraineté. Nommer des fonctionnaires a toujours passé pour la preuve qu’on gouverne. Le colonel Vassos a rédigé, en outre, de belles proclamations, dans lesquelles il a étendu très généreusement la protection du roi Georges sur les musulmans comme sur les chrétiens. Enfin, il a fait tous les gestes d’un gouvernement, en attendant que la réalité vînt confirmer les apparences ; et cette situation, tout anormale qu’elle est, aurait peut-être pu se prolonger encore quelque temps si les troupes grecques et crétoises n’avaient pas dépassé toute prudence en attaquant la Canée. Guerroyer contre de petits postes musulmans, passe encore ; mais s’en prendre à la Canée, à la capitale de l’île, à la ville où flottaient de conserve tous les drapeaux européens, était plus difficilement tolérable. On sait ce qui est arrivé. Les navires européens, embossés dans la rade, ont tiré quelques coups de canon sur le camp des insurgés, et ces coups de canon ont fait entrer l’affaire crétoise dans une phase nouvelle. L’Europe notifiait à la Grèce, avec le bruit et l’éclat de la poudre, que les limites de sa patience étaient atteintes, et qu’elle n’admettrait pas plus longtemps une immixtion dont elle avait condamné le principe et dont elle était résolue à arrêter les effets.

Que s’était-il passé en Europe entre la première nouvelle du coup de tête du roi Georges et la canonnade de La Canée ? On a beaucoup parlé, depuis quelques mois, de l’union des puissances ; on la présentait comme parfaite, complète, absolue ; pourtant quelques esprits sceptiques n’étaient pas à cet égard tout à fait rassurés. Il y avait, lorsqu’on y regardait de près, des nuances assez marquées dans l’altitude des divers cabinets, et on pouvait craindre que les événemens ne les accentuassent encore davantage, lorsqu’ils deviendraient eux-mêmes plus pressans. Ces craintes, au moins jusqu’à ce