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norvégien, et si ensuite elles nous étaient revenues, retraduites du norvégien en allemand, et de l’allemand en français, par quelque comte Prozor, il n’est pas impossible qu’elles eussent paru à nos jeunes gens souverainement norvégiennes et soulevé leurs enthousiasmes les plus intolérans. Et, là-dessus, je me prends à regretter que M. Sardou, au lieu d’emprunter au spiritisme un simple « truc » pour son dénouement, n’ait pas fait du spiritisme le fond même de sa pièce, et qu’il n’ait point établi toute sa fable sur des communications supposées réelles entre les vivans et les morts. Il n’était pas nécessaire, pour cela, que nous crussions nous-mêmes au spiritisme : c’était assez que l’auteur y crût ou parût y croire, et que sa foi nous intéressât. Nous nous serions très volontiers prêtés à ce jeu. Car enfin M. Homais admire Athalie bien qu’il ne croie pas aux miracles et qu’il réprouve le fanatisme du grand prêtre Joad. Nous n’eussions demandé à M. Sardou, en échange de notre complaisance, que de nous conter quelque histoire à la fois humaine et mystérieuse, et dont l’étrangeté nous fit tour à tour tressaillir, pleurer et rêver. Quelle histoire ? C’était affaire à lui.


La pièce de M. Maurice Donnay est exquise. Ce n’est point une merveille de composition : mais quelle grâce ! Elle a trois scènes, et commence au milieu du deuxième acte pour finir avec le troisième : mais que d’esprit tout autour ! Si elle commençait avec le premier et ne finissait qu’avec le quatrième, et si elle formait un tout compact et serré comme un nougat, sans doute elle vaudrait mieux, ou du moins on le pourrait démontrer par le raisonnement. L’application des bonnes règles, la composition, l’harmonie qui en résulte, ont leur beauté. Mais la Douloureuse a la sienne, qui est celle du diable.

Prenons donc la pièce en son beau milieu. Nous y rencontrons un homme et deux femmes. C’est le sculpteur Philippe, « un de nous », si ce n’est pas trop nous flatter. C’est sa maîtresse, Hélène Ardan, veuve d’un forban de finances, et qui attend la fin de son « deuil » pour épouser son amant. Et c’est Gotte des Trembles, une amie intime d’Hélène. Et tout de suite nous nous intéressons à ces trois êtres, parce que tout de suite nous nous apercevons qu’ils vivent, et qu’ils sont d’aujourd’hui, et sans que l’auteur semble y avoir fait effort.

Or, c’est un soir d’été, à la campagne, sur la terrasse d’une villa des environs de Paris. L’atmosphère est voluptueuse, la nuit claire et parfumée ; et c’est terrible, l’effet « du sentiment de la nature » sur des sensualités aiguisées par les mœurs parisiennes. D’être la