Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

touriste n’est par essence qu’un promeneur : c’est là son signe distinctif. Aujourd’hui, grâce aux chemins de fer et aux transatlantiques, il ne tient qu’à lui d’aller très loin en peu de temps. Mais si longue ou si laborieuse que soit sa promenade, il n’a pas d’autre affaire que de se promener, de se donner à la fois du plaisir, de l’exercice et un peu de tourment, de tromper ses lassitudes en savourant au passage les aimables distractions que lui offrent les hasards de la route. Pour l’explorateur, le monde est un endroit où il y a des découvertes à faire ; pour le savant, c’est un cabinet d’étude ; le missionnaire voit partout des âmes à sauver, le voyageur de commerce s’occupe de recruter des chalands. Pour le vrai touriste, le monde est un promenoir.

M. Paul Seippel est un touriste suisse, qui, après s’être souvent promené sur cette terre en long et en large, vient d’en faire le tour, en commençant par l’Amérique. Il a traversé l’Atlantique à bord de la Bourgogne ; il a vu le Canada, le Saint-Laurent en débâcle, Montréal et Québec sous la neige fondante ; il a visité plusieurs villes de l’Est américain, dont les blocs numérotés et les maisons de douze étages ne lui ont pas inspiré l’envie de s’y établir ; il a parcouru, nous dit-il, « des plaines enchanteresses, où les forêts ont été remplacées par des millions d’écriteaux-réclames, célébrant en caractères gigantesques les bienfaits de la pâte pectorale Castoria et l’efficacité surprenante des pilules purgatives Bechman. » Il a fait une tournée en Californie, a remonté les côtes du Pacifique et a vu pêcher le saumon dans la Columbian-River. A Victoria, il a pris passage pour Yokohama, a séjourné deux mois et demi au Japon. Puis, se rembarquant, il a donné un coup d’œil à Shangaï, à Hongkong, à Canton, à Macao, à Saigon, à Singapour, et passé tout un hiver à Ceylan, au sanatorium de Nuwara Elliya ; il ne lui restait plus qu’à reprendre la route de Genève ; il a fait halte à Bombay, halte au Caire et s’est retrouvé chez lui un an, jour pour jour, après son départ.

Voilà assurément une immense promenade ; mais il est modeste, il se qualifie lui-même de simple touriste ou de globe-trotter. Ce qui est certain, c’est qu’il a vu beaucoup de choses et les a bien vues. Les principaux épisodes de son excursion aux terres lointaines lui ont fourni la matière d’un volume in-quarto, élégamment illustré et très agréable à lire. Il n’a pas seulement de bons yeux, il a beaucoup de gaîté, d’humour, et il ne manque pas de philosophie. Par le temps qui court, les philosophes enjoués sont une espèce rare[1].

  1. Terres lointaines, voyage autour du monde, ouvrage illustré de 17 planches hors texte et de 153 vignettes ; Lausanne, 1891, E. Pavot, libraire-éditeur.