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offre les matériaux nécessaires à l’embellissement de nos villes.


Les marbres sont préparés par elle pour l’architecte comme le papier l’est par le manufacturier pour l’aquarelliste. Les couleurs en sont mélangées exactement comme sur une palette préparée. Elles sont de toutes les valeurs et de toutes les teintes, excepté des mauvaises. Et dans toutes leurs veines et leurs zones et leurs colorations de flammes ou leurs lignes brisées et disjointes, ces couleurs écrivent les légendes diverses, toujours exactes, des anciens régimes politiques du royaume des montagnes auxquelles ces marbres ont appartenu, — de ses infirmités et de ses énergies, de ses convulsions et de ses consolidations, depuis le commencement des temps.


Prenons donc ces matériaux, et couvrons en nos demeures ! Quand on l’a fait, on a fait les chefs-d’œuvre de l’architecture. On a fait les cathédrales gothiques, les portails peints, les bois ouvragés et coloriés, les tympans dorés comme des couchers de soleil. La vénitienne, où tout était naturel et couvert de peintures riches comme des feuilles d’automne, fut l’apogée. La Renaissance, avec ses palais gris et ses tympans géométriques, sa science froide, précise et pompeuse, fut l’hiver, — « l’hiver qui fut sans chaleur comme il était sans couleur ! » Du jour où l’architecte oublia la Nature multiforme et multicolore il oublia la Beauté. « La décadence et la dégradation dès le XVe siècle ne furent pas dues à son naturalisme, à sa fidélité d’imitation, mais à l’imitation de choses laides, c’est-à-dire non naturelles. Tant que le naturalisme se divertit à sculpter des animaux et des fleurs, il resta noble. Mais du jour où l’on y associa des objets artificiels, tels que des armures, des instrumens de musique, des cartouches, des rouleaux sans signification et des boucliers bombés, et autres fantaisies semblables », du jour où les paysagistes cédèrent la place aux archéologues, on éprouva le froid des sarcophages rouverts, la piqûre mortelle du compas ; on sentit le formalisme de l’esprit classique et pédant se répandre dans nos demeures et les glacer. Le ruban sans racine et sans tête remplaça l’herbe vivante, la sotte banderole lia les fleurs dispersées, les plis somptueux des draperies gonflées par d’imaginaires orages masquèrent les formes humaines. « Ce fut comme si l’âme de l’homme elle-même séparée de la racine de sa santé et prête à tomber en corruption, perdait la perception de la vie dans toutes les choses qui sont autour d’elle et ne pouvait plus distinguer l’ondulation des branches vigoureuses pleines d’une force musculaire et d’une circulation sanguine, du lâche ploiement d’une corde brisée. Ce jour-là fut consommée la