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homme est un Pascal, que sa réflexion serve de postulat aux plus étranges controverses qu’on ait faites sur la Nature et sur l’Art ? Cela prouve seulement qu’on peut être un grand logicien et un pauvre artiste. Un artiste, lui, n’aurait point passé, indifférent, devant la feuille touchée par le soleil ; il l’aurait vue, il l’aurait regardée, il l’aurait aimée pour ses mordorures et pour ses flétrissures, pour ses passages de lumière et pour sa tache sur le massif ; s’il avait eu sa boîte à couleurs au dos, il l’aurait copiée peut-être, et ainsi distrait par cette pauvre chose que Pascal méprise, il aurait oublié d’entrer dans cette galerie où Pascal se croit en devoir d’admirer… Car feuille ou nid, branche ou caillou, perle ou flot, toute Nature est Beauté.

Inutile même de la chercher dans ses spectacles rares ou dans ses effets passagers. Inutile de guetter d’extravagans couchers de soleil ou de poursuivre sur les hauts plateaux une fleur dont l’espèce est quasi perdue.


Ces caractères de Beauté que Dieu a mis dans notre nature d’aimer, il les a imprimés sur les formes qui, dans le monde de chaque jour, sont les plus familières aux yeux des hommes… Oui, seulement un coteau et un enfoncement d’eau calme, et une exhalaison de brume et un rayon de soleil. Les plus simples des choses, les plus banales, les plus chères choses que vous pouvez voir chaque soir d’été le long de mille milliers de cours d’eau parmi les collines basses de vos vieilles contrées familiales. Aimez-les et voyez-les avec droiture ! L’Amazone et l’Indus, les Andes et le Caucase ne peuvent rien nous donner de plus.


Les idéalistes se sont trompés qui sont allés chercher bien loin et bien haut la mystérieuse formule qui est écrite dans chaque foliole autour de nous. Les classiques l’ont cherchée dans l’impossible ; les romantiques l’ont cherchée dans l’exception. Elle est dans le facile et dans l’habituel et l’on peut même hardiment « conclure de la fréquence des choses à leur beauté. »

Des choses de la Nature, disons-nous, non des choses de l’homme, des choses les plus ordinaires voulues par elle, non des choses extraordinaires voulues par les jardiniers : les plus communes réalités de la montagne, non les plus ingénieux artifices des maçons ; les rochers, non les rocailles ; les lacs, non les bassins ; les nuages, non la fumée ; les mousses, non les tapis. Sans doute, il peut y avoir encore des restes de Nature et par conséquent des restes de beauté, dans une plante écartelée en espalier, dans un arbre taillé pour la cueillette des fruits ou des feuilles, dans