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de France, le recrutement d’un personnel d’allumettiers pourrait être impraticable ; dans d’autres, au contraire, il sera très facile. Installer des manufactures dans les grands centres populeux ou dans leur voisinage, au milieu de conditions générales défectueuses, de provenances ethniques très mêlées, chez des individus porteurs de tares héréditaires ou acquises, l’alcoolisme par exemple, c’est courir au-devant d’un danger certain. Fonder au contraire une usine dans un endroit largement aéré et salubre, dans un climat tempéré ; choisir le personnel dans une population réfractaire à la carie des dents, c’est s’assurer d’avance l’immunité[1]. Une usine en pays celtique, en Auvergne, par exemple, ou en pays nègre, ce serait l’idéal.

Telle est la sélection ouvrière.

  1. Parmi les manufactures françaises, celles de Pantin et d’Aubervilliers représentent peut-être le dernier refuge du phosphorisme et de la nécrose. Leur état île dégradation, signalé depuis longtemps, et les conditions du personnel ouvrier ne permettent plus leur assainissement ; toute tentative dans ce sens serait inexcusable. N’ont-elles pas été condamnées, lors de la visite d’un ministre, M. Doumer ? Elles devaient, dit-on, disparaître. Qu’attend-on pour exécuter cette condamnation ? Une recrudescence récente d’accidens, cause d’agitation extrême dans la population ouvrière, prouve suffisamment combien une telle mesure s’imposait.
    Il en est tout autrement des autres manufactures de France ; à Bègles, usine ancienne, les accidens sont depuis longtemps très exceptionnels. Le médecin de l’usine, le Dr Armingaud, très au courant de ces questions, n’en signale, dans ce moment, que de rares exemples. Il en existe encore cependant, et l’usine réclame quelques réformes qui suffiront sans doute à en réaliser l’assainissement.
    Deux autres établissemens, Trélazé et Saintines, fabriquant exclusivement des allumettes au phosphore amorphe, sont hors de cause. Restent Aix-en-Provence et Marseille : Aix est une usine tout à fait neuve, construite sur un vaste terrain vierge où les bâtimens ont été soigneusement isolés et séparés par des espaces plantés d’arbres et de fleurs. L’aération générale est parfaite. A l’intérieur, les aménagemens sont satisfaisans ; la ventilation suffisante aux postes les plus dangereux du dégarnissage et de la mise en boîtes. L’emploi des machines est bien réglé ; les déchets sont soigneusement brûlés en vase clos. Les installations des vestiaires, réfectoires, lavabos, sont parfaites. Les salles de bains assurent à chaque ouvrier un bain par quinzaine. En parcourant cette usine, on reste frappé du peu d’émanations phosphorées qui s’échappent des ateliers, et l’on peut se demander vraiment comment un accident industriel pourrait s’y produire. Cette usine fait le plus grand honneur aux efforts de l’administration ; en complétant les aménagemens sur plusieurs points où quelques services sont insuffisamment isolés et en apportant plus de rigueur dans la sélection ouvrière, la manufacture d’Aix réaliserait peut-être l’idéal. Elle n’est, malheureusement, ouverte à la fabrication que depuis deux ans, ce qui ne permet guère d’en porter un jugement absolu. On n’y a observé, bien entendu, aucun accident.
    L’usine de Marseille a été réédifiée après incendie ; elle est d’ailleurs inachevée. L’espace y est mesuré, les bâtimens insuffisamment séparés, plus encombrés à l’intérieur, toujours faute de place. Plusieurs services ne sont pas installés. On ne peut donc la classer encore, mais nul doute qu’entre les mains de son directeur actuel. M. Carvallo, elle ne soit susceptible de compléter ses perfectionnemens et de parvenir à l’état de salubrité complète.