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disparition de l’allumette ordinaire apporterait à nos besoins, à nos habitudes, ou, si l’on veut, à nos manies ? Il nous faut l’allumette qui s’enflamme partout et sans le secours d’un frottoir spécial. Si, pour des raisons que nous ne saisissons pas bien, on veut, légalement, nous contraindre à une privation ; si l’on veut imposer un recul à notre industrie, on devra du moins nous démontrer que ce n’est qu’au prix de ce sacrifice qu’est le salut de nos ouvriers. Or, cela on ne nous l’a pas encore démontré et on ne nous le démontrera pas.

Voyons d’ailleurs ce qui se passe à l’étranger, car, en ces matières, nous ne pouvons, en réalité, nous isoler de nos voisins ; et une réforme comme celle que l’on rêve ne se réaliserait que par une entente internationale. Ici encore nous pouvons affirmer qu’une telle entente ne se produira pas. La France, comme on sait, ne fabrique des allumettes que pour sa propre consommation. Elle n’exporte pas, et son importation est à peu près nulle. Une telle réforme dans notre industrie ne profiterait qu’à la contrebande et à la fabrication clandestine.

De tous les pays d’Europe, un seul a dû accepter, par une loi du 14 février 1874, le régime de l’allumette sans phosphore blanc, le Danemark. Crest la patrie de l’allumette au phosphore amorphe, de l’allumette dite suédoise. La fabrication s’effectuait spécialement dans le nord-est de l’Europe, mais elle s’est répandue depuis lors un peu partout ; on en confectionne aussi en France, en Allemagne, en Suisse, en Belgique.

Nous ne nous arrêterons pas à décrire cette allumette au phosphore amorphe ; elle est connue de tous. On en sait les inconvéniens, qui consistent surtout en ce qu’elle ne s’enflamme que sur un frottoir spécial, lequel est garni de phosphore tandis que l’allumette ne porte qu’un mélange chlorate. C’est déjà le système des explosifs, car avec ce phosphore il n’y a point d’inflammation sans chlorate de potasse : aussi arrive-t-il souvent qu’une allumette suédoise éclate bruyamment avec projection du bouton enflammé. D’autres inconvéniens non moins graves sont dus à l’hygrométricité du frottoir qui, sous la moindre humidité, est frappé d’impuissance. Il peut en outre perdre par usure ses propriétés inflammables, de sorte que les dernières allumettes d’une boîte ne trouvent plus sur le frottoir le phosphore nécessaire à l’usage.

Ces causes d’infériorité expliquent pourquoi la consommation