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léger frisson d’épouvante parcourt la salle. Le ministre, devant l’émotion générale, décide que la question va être mise à l’étude. Il demande un crédit, qu’on lui accorde séance tenante, et annonce qu’une commission technique composée de chimistes et d’ingénieurs empruntés à l’Académie des sciences va être nommée. Une somme de 50 000 francs servira de prime à la découverte de la meilleure allumette sans phosphore.

On fit appel par la voie de la presse à tous les inventeurs. Un grand nombre d’envois de France, de Belgique et de Suisse affluent à Paris. Dans une première sélection la commission retient certains modèles comme les types Pouteau, Bert, Colson, Serré, Rossel, par exemple.

Malheureusement ces différens essais présentaient un défaut commun qui devenait en même temps un péril : les allumettes nouvelles étaient explosibles. Elles éclataient avec bruit, avec projection de matières enflammées. Plusieurs d’entre elles dégageaient en même temps des gaz et des vapeurs très irritantes, peut-être aussi nocives que les vapeurs phosphorées et formant parfois un nuage épais. Elles étaient cependant, disait-on, dépourvues de toxicité, mais de quels autres dangers n’étaient-elles pas capables, celui de faire sauter une usine par exemple ? Déjà M. Berthelot, pressenti sur les conditions du programme imposé aux inventeurs, n’hésitait pas à déclarer que, dans sa pensée, on ne saurait, en matière d’allumettes, abandonner le phosphore ordinaire sans entrer dans la catégorie des explosifs. L’éminent chimiste est, comme on sait, l’auteur d’un important Traité des matières explosives ; son appréciation avait une valeur toute particulière. Ses prévisions se réalisèrent ; et, après plusieurs mois d’études, la commission rejeta successivement tous les essais présentés, non sans avoir enregistré pendant les expériences un certain nombre d’accidens dus à la conflagration des allumettes, dans la composition desquelles reparaissait invariablement le chlorate de potasse, avec quelques sels de plomb ou d’antimoine, et autres substances restées ou non inconnues.

Quelques inventeurs avaient en effet adressé à la Commission la formule des pâtes employées, mais d’autres l’avaient gardée secrète. Parmi ces dernières, l’une d’elles parut, à l’analyse, contenir certaine combinaison voisine de la dynamite. C’était peut-être sans danger pour des allumettes isolées ; mais prises en masse, dans une caisse remplie de boîtes, on ne sait trop quel désastre