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conditions où nous les retrouvons encore, jusqu’à l’époque présente. Les installations ouvrières n’étaient pas meilleures à l’étranger. Les usines d’Allemagne étaient remplies de malades, celles de Belgique également. La petite ville de Grammont, qui renfermait à elle seule une douzaine de fabriques, était un foyer de nécrose. On parlait des usines d’Italie et d’Angleterre comme de vraies nécropoles, et la Compagnie générale, devant le flot toujours montant des malades, vit surgir bientôt des revendications venues soit d’ouvriers nécrosés, soit de mutilés, soit de veuves. Des procès furent engagés qui se jugèrent invariablement par la condamnation de la Compagnie à des indemnités pécuniaires plus ou moins considérables.

De temps en temps, certains cas retentissans d’accident grave ou mortel éveillaient de nouveau l’attention du public et des médecins ; quelques campagnes de presse s’ouvraient avec une extrême violence. Les académies étaient saisies de nouveau. Parfois un membre de ces assemblées, signalant l’inutilité des vœux exprimés jusqu’alors, essayait de formuler quelques préceptes d’hygiène, quelques mesures d’assainissement ; on n’écoutait rien ; et la discussion était immédiatement étouffée sous l’expression encore renouvelée de ce vœu platonique et stérile : l’interdiction légale du phosphore. Puis l’émotion se calmait, l’autorité ne tenait aucun compte des vœux exprimés ; — et rien ne changeait dans la fabrication des allumettes.

La situation s’était ainsi prolongée sans changement jusque dans ces dernières années, lorsque, à l’occasion de l’expiration du monopole de la compagnie concessionnaire, la question fut enfin portée au parlement. C’était en 1888 ; un groupe de députés résolut de tenter d’enlever un vote relatif à cette interdiction tant réclamée du phosphore blanc. Ils y réussirent ; et le vote fut émis. Seulement, comme il portait sur un amendement à un article de la loi de finances, il fut entraîné avec le rejet de l’amendement lui-même. La tentative avait échoué, mais nous avions été bien près, comme on voit, d’être, depuis lors, privés de la précieuse et incomparable allumette.

Quelques années s’écoulent encore ; et, au moment où le ministère Ribot prend le pouvoir, la question reparaît de nouveau, toujours à l’occasion de la discussion du budget. Cette fois un député de Pantin, M. Goussot, fait devant la Chambre un tableau un peu dramatisé des accidens des allumettes et du mal chimique ; un