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Poggiale, de Tardieu, et plus récemment sur ceux de Legouest, de Brouardel, le même vœu fut invariablement émis pour être transmis à l’autorité : l’interdiction légale du phosphore blanc.

La réprobation devient ainsi générale, unanime ; c’est l’anathème, la croisade acharnée, implacable. Le phosphore est l’ennemi qu’il faut à tout prix poursuivre et supprimer. On ne veut rien entendre en matière d’assainissement : il n’existe pour tous qu’une seule solution, et toute voix qui ose plaider la cause de l’hygiène n’est point écoutée.

Une situation aussi critique ne pouvait manquer d’attirer l’attention des pouvoirs publics ; et de tous côtés on commençait à réclamer une surveillance, un contrôle de la nouvelle industrie ; mais comment procéder ? On ne pouvait songer à exaucer les vœux des académies et des conseils d’hygiène ; la fabrication était libre et répandue dans une multitude d’installations d’importance très diverse. Le service de la police sanitaire, très rudimentaire d’ailleurs, ne pouvait s’exercer, car, à côté de quelques usines d’une certaine importance, il existait un grand nombre de petites fabriques, clandestines même, et c’étaient les plus insalubres.

Nous étions alors au lendemain de nos désastres, en 1872, et l’industrie des allumettes apparut à l’heure de la liquidation comme une ressource budgétaire qui n’était pas négligeable. On parlait d’une vingtaine de millions qui pourraient, par la concession d’un monopole, rentrer dans les caisses publiques. C’est ainsi que fut concédé le privilège de la Compagnie générale inaugurée en 1872. Bien que les préoccupations d’ordre hygiénique parussent, à cette époque, bien secondaires, on songea cependant à imposer à la nouvelle compagnie quelques obligations dans ce sens : un règlement intérieur édicta des prescriptions à l’égard des ouvriers, des vêtemens, des réfectoires. Mais tout cela était véritablement bien puéril, ne reposant sur aucune considération scientifique et rationnelle, sur aucune idée de causalité. C’était l’empirisme le plus aveugle. Ces prescriptions n’étaient d’ailleurs que la reproduction ou l’imitation de certains règlemens empruntés aux usines allemandes et tout à fait illusoires.

Aucune amélioration sensible ne se produisit naturellement dans les nouvelles usines qui avaient d’ailleurs utilisé tant bien que mal, comme à Pantin et à Aubervilliers, d’anciens locaux industriels, manufactures improvisées dans les déplorables