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nombre, des monographies, des thèses de doctorat, des thèses de concours affluèrent de toutes parts. La nécrose phosphorée resta pendant quarante années et est encore, on le sait, une question à l’ordre du jour[1].

Quelles étaient donc les causes et la nature d’un tel mal ? Cela, on l’ignorait, on l’ignorait absolument. Les médecins constataient avec stupéfaction l’éclosion d’une forme insolite de mortification osseuse, et assistaient impuissans à l’envahissement de la destruction. Devant cette ignorance, toute idée de remède restait illusoire. Les chirurgiens se bornaient à disserter sur les conditions opératoires elles-mêmes, sur les avantages de l’intervention précoce ou tardive, sur le traitement enfin.

Seuls les hygiénistes, dans l’ignorance commune, étaient du moins, sur un certain remède, dans un accord parfait : la cause est inconnue ; soit, mais l’agent morbide, c’est le phosphore blanc. Dès lors, quoi de plus simple ? Supprimons le phosphore. Dans un premier mémoire, présenté en 1845 à l’Académie de médecine, Bouvier, analysant un important travail récemment paru à Heidelberg, et signalant les accidens graves de la fabrication allemande, concluait à l’interdiction des allumettes. C’était la suppression de l’industrie nouvelle et l’obligation de revenir à l’ancien briquet. En 1846, à l’Académie des sciences, le docteur Théophile Roussel, le vénéré savant dont on vient de célébrer le jubilé, jetait aussi son cri d’alarme dans un mémoire qui eut un grand retentissement. Pour la première fois, l’auteur y donnait, au sujet du mal chimique, une indication d’étiologie sur laquelle nous aurons à revenir. D’autre part les conseils d’hygiène, plusieurs fois saisis de la question, s’étaient ralliés à la même décision, et enfin, à l’Académie de médecine, sur les rapports de Chevallier, de

  1. Ce n’est point ici le lieu de parler du traitement de la nécrose des mâchoires. Ce traitement a été jusqu’à ce jour purement chirurgical, et consistait à enlever les portions osseuses mortifiées. Malheureusement, ces résections étaient souvent impuissantes à arrêter le mal qui se reproduisait aux surfaces de section osseuses elles-mêmes. C’est que cette mortification est dominée dans sa production par l’état de déminéralisation générale du squelette due au phosphorisme. Ces remarques ont donné l’idée de modifier ici la thérapeutique ordinaire et de faire précéder toute intervention chirurgicale du traitement particulier de l’empoisonnement phosphore en vue de l’élimination du toxique. C’est ainsi que fut institué le régime lacté, l’hygiène au grand air, de l’oxygène pur, l’emploi de l’ozone, et l’administration à l’intérieur de certains balsamiques, etc.
    Les résultats favorables ont été tels que certains nécrosés, à la veille d’une opération, ont pu guérir par ces moyens, et échapper au couteau du chirurgien. Les usines de Paris renferment, plusieurs ouvriers qui ont ainsi été sauvés.