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des installations avaient surgi de toutes parts dans les conditions les plus déplorables. On confectionnait des allumettes un peu partout, dans les logemens d’ouvriers, dans l’intérieur d’un ménage, dans des caves ; on trouvait du phosphore dans les vêtemens, au milieu des alimens, à la portée des enfans ; et de là des empoisonnemens aigus et des incendies. Les ouvriers recrutés n’importe où et nullement surveillés s’entassaient dans des locaux insuffisans où l’atmosphère est irrespirable. En quelques mois, une malheureuse femme, dégarnisseuse ou metteuse en boîtes, forte et robuste à son entrée dans l’un de ces ateliers improvisés, était frappée du mal chimique et allait échouer à l’hôpital.

Les hôpitaux de Vienne, de Berlin, de Nuremberg reçoivent les premiers nécrosés, et tandis que les médecins les plus célèbres viennent étudier la maladie nouvelle, des chirurgiens s’efforcent par des opérations précoces d’arrêter la marche du fléau. Les plus grands noms que compte la science allemande vers 1840 et 1845 se retrouvent dans la littérature médicale suscitée par les accidens du phosphore : Bibra et Geist, de Nuremberg, Lorinser et Heyfelder de Vienne, Langenbeck, Haeckel, Billroth et Virchow, de Berlin, etc. En France l’alarme se répand avec la même rapidité ; les premières fabriques s’étaient presque toutes groupées dans un faubourg de Paris, à la Villette, et dans des conditions aussi pitoyables que celles de nos voisins. Le mal chimique fait d’affreux ravages, et l’hôpital Saint-Louis, le plus voisin du centre de fabrication en question, devient l’asile ordinaire des victimes.

C’est là que furent entreprises les premières études. Le regretté docteur Lailler, médecin de cet hôpital, fut le plus empressé auprès de ces malheureux ; il les accueillit dans son service, les mit en observation et en traitement ; puis, soucieux de remonter aux sources du mal, il visita, à plusieurs reprises, les diverses fabriques de la Villette où nous eûmes l’avantage de l’avoir pour guide lors de nos recherches personnelles.

De leur côté, nos chirurgiens, déjà avertis par les travaux allemands, s’étaient mis à l’œuvre. Tandis qu’à Strasbourg, Strohl et Sedillot observaient et opéraient les premiers atteints, le docteur Péan, qui fut longtemps chirurgien de l’hôpital Saint-Louis, en soignait un très grand nombre. Vint ensuite toute la pléiade chirurgicale de ce temps, les Verneuil, les Nélaton, les Trélat, les Richet, les Tillaux, etc., — il faudrait les citer tous, — chacun apportant son tribut au traitement des malades, et puis, des mémoires sans