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un coefficient, on voit que le chiffre qu’il atteint, comparé à l’état normal, devient le véritable critérium du phosphorisme.

Mais ce n’est pas tout, et un autre phénomène plus saisissant encore de cette déminéralisation du squelette consiste dans cet accident caractéristique, le plus grave et le plus dramatique à la fois : la nécrose des mâchoires que les ouvriers ont eux-mêmes qualifiée du nom de mal chimique.

C’est un mal étrange et qui parut d’abord tout à fait insolite et inexplicable, une destruction des os de la face, une mortification des maxillaires se détachant par fragmens au milieu de plaies et d’abcès de la bouche. La lésion a une singulière tendance à s’étendre, à se propager ; étoile envahit alors jusqu’aux os du crâne, entraînant souvent la mort, tandis que ceux qui parviennent à guérir restent affreusement mutilés.

Comment conjurer une si grave situation, inhérente au principe même de la fabrication, et dont on ne parvenait pas à saisir les causes ? Fallait-il renoncer à l’allumette au lendemain même de sa découverte ? C’est précisément la solution à laquelle on a songé tout d’abord. Chercherait-on à opposer au fléau quelques moyens capables de l’entraver, de le neutraliser ? Il ne fallait guère y compter, tant était complète l’ignorance de sa nature et de sa genèse.

Les choses en étaient là lorsqu’une autre découverte inattendue s’offrit tout à coup. C’est celle du phosphore rouge ou amorphe isolé par le docteur Schrötter de Vienne, et qui, sans présenter les incomparables avantages de son aîné, s’en distingue par l’absence de toute toxicité. Il n’est pas inflammable par frottement direct ; il ne répand pas de vapeurs ; son maniement n’offre aucun danger, et cependant il conserve certaines propriétés, très inférieures il est vrai, qui permettent de l’utiliser dans la confection des allumettes.


IV

Cependant, et malgré son cortège de dangers signalés dès l’origine, l’industrie des allumettes avait pris une prodigieuse extension. En Allemagne d’abord, puis en France, en Belgique, en Angleterre et successivement sur tous les points de l’Europe, des fabriques s’étaient établies, et, grâce au régime de la liberté absolue et en l’absence de toute surveillance et de tout contrôle,