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soigneusement étudiées par les chimistes, sont composées de certains produits d’oxydation, de particules libres de phosphore, d’hydrogène phosphore et de quelques autres combinaisons toutes à l’état gazeux. Pénétrant dans les voies respiratoires, les vapeurs s’absorbent lentement par l’économie, se fixent dans le sang et dans les tissus, et y produisent cet état particulier qui a été désigné sous le nom de phosphorisme.

On a comparé cet empoisonnement à celui qui atteignait jadis les ouvriers du plomb, le saturnisme ; ceux du mercure, l’hydrargyrisme ; ceux de l’argent, l’argyrie ; rien n’est plus juste : le phosphorisme représente l’empoisonnement lent et chronique par le phosphore. Tous les ouvriers qui sont exposés aux vapeurs phosphorées sont voués, à peu d’exceptions près, au phosphorisme, sous cette réserve que son intensité varie suivant la quantité même de ces vapeurs, de sorte que, dans certaines usines bien aménagées et soigneusement ventilées, si la totalité des vapeurs est entraînée au dehors, le phosphorisme peut se réduire à zéro, l’usine est alors en état de salubrité complète.

Le phosphorisme se manifeste par des phénomènes généraux et des troubles de la santé facilement reconnaissables. Les ouvriers sont pâles, anémiés, amaigris, ils ont une certaine teinte de la peau, la teinte dite ictérique ; leur haleine est alliacée : c’est l’odeur même du phosphore. On retrouve cette même odeur dans l’urine, qui répand parfois des vapeurs, et devient même phosphorescente, c’est-à-dire lumineuse dans l’obscurité. Si l’on pousse plus loin l’investigation dans ce sens en prenant pour guide la méthode d’analyse d’un savant médecin, le docteur Albert Robin, on découvre dans la composition intime de l’urine des phosphoriques un phénomène particulier et bien significatif, c’est une diminution très marquée dans la proportion des élémens minéraux, ce qu’il faut appeler la déminéralisation de l’économie et en même temps du squelette.

Cette perturbation si grave dans la composition chimique des os explique certains cas de fractures multiples chez des ouvriers du phosphore, avec consolidations lentes et défectueuses. Les écrivains qui ont essayé de tracer la pathologie du phosphore, Gendrin, Tardieu, Krauss de Nancy et bien d’autres ont déjà signalé ces fractures en même temps qu’un certain nombre de lésions diverses qu’ils n’hésitent pas à rattacher à la même cause. Du reste cette déminéralisation peut se chiffrer et, si on la représente par