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d’être Français ? Non ; il n’est personne qui ne proteste contre un pareil entraînement ; mais, tout en protestant, beaucoup commencent à y céder, et il n’est peut-être que temps de le leur faire remarquer.

Si tel est l’état de l’Europe, et s’il faut apporter tant de ménagemens à maintenir son union, on conviendra que l’Angleterre, qui a pris tant de peine pour déterminer cette union et qui s’en est vantée comme d’un succès personnel de sa politique, la croit aujourd’hui bien solide, à en juger d’après les épreuves auxquelles elle la soumet. Nous voulons parler de la discussion qui a eu lieu récemment à la Chambre des communes au sujet de l’avance faite par le gouvernement de la Reine au gouvernement khédivial, pour restituer au fonds de réserve de la caisse de la Dette les sommes qui en avaient été détournées indûment. Nous ne reviendrons pas sur la question : elle a été déjà traitée ici à diverses reprises. Il n’est pas douteux que l’Egypte n’a pas le droit d’emprunter sans l’autorisation des puissances. Il ne l’est pas davantage que l’avance qui lui est faite constitue de la part de l’Angleterre un prêt, et par conséquent, de sa part à elle, un emprunt qu’on ne s’est même pas donné la peine de déguiser. Dès que le gouvernement français a eu connaissance de ce projet, il a fait auprès du gouvernement khédivial les réserves les plus expresses, et le gouvernement russe s’est associé à lui dans cette occasion : c’était leur droit incontestable à l’un et à l’autre. Sir Michaël Hicks-Beach, chancelier de l’Échiquier, a paru s’étonner qu’en accomplissant cette démarche, les gouvernemens russe et français n’en aient pas avisé le gouvernement anglais : pourquoi l’auraient-ils fait ? L’Egypte n’est pas, que nous sachions, sous le protectorat de l’Angleterre. Il est permis d’avoir avec elle des rapports directs. Aucun intermédiaire n’a ici sa place obligatoire, et si les deux gouvernemens alliés avaient usé de celui de l’Angleterre, ou même s’ils avaient fait auprès du gouvernement de la Reine la même démarche qu’auprès de celui du khédive, ils auraient créé un précédent fâcheux. Ils n’avaient d’ailleurs rien à dissimuler, et ils n’ignoraient pas que les ministres égyptiens ne manqueraient pas de communiquer leur note à lord Cromer ou au conseiller financier. C’est cette note, en somme, qui a été discutée à la Chambre des communes, et sir Michaël Hicks-Beach y a mis un ton d’acrimonie et même de violence qui n’est pas habituel dans les débats où une puissance étrangère est intéressée. Le chancelier de l’Échiquier est sans doute un financier habile ; il n’est pas tenu d’être diplomate : mais tout homme qui a la responsabilité du pouvoir gagne à mettre dans son langage un peu plus de modération qu’il ne l’a fait. Son excuse est qu’il ne savait que dire. On lui demandait