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jour encore, promettait à la tribune comme très prochaines, mais qui ne sont pas encore venues. Les pièces diplomatiques sont des documens qu’on ne peut pas altérer dans leur essence; elles sont ce qu’elles sont ; cependant, il y a un art de les choisir et de les disposer, et, pour ceux qui en ont l’habitude, leur lecture attentive révèle les tendances particulières du gouvernement qui les a livrées au public. Il est certain que le gouvernement anglais n’a rien omis dans les siennes de ce qui pouvait donner à croire que l’entente entre les puissances avait été lente, difficile et laborieuse. Évidemment, elle a été longue à s’établir, puisqu’il a fallu pour cela plus de deux mois. Peut-être n’était-il pas indispensable de faire cette démonstration aux yeux du sultan, et aurait-il été plus habile d’indiquer seulement les résultats obtenus puisque, en fin de compte, on devait en montrer une satisfaction qui s’est exprimée au premier moment sans réserves. Aujourd’hui, nous en savons trop pour ne pas désirer tout savoir; la curiosité publique a été mise en éveil, et nous attendons avec impatience les Livres Jaunes qui doivent compléter les Livres Bleus. A l’heure où nous écrivons, nous ne les connaissons pas encore : peut-être les aurons-nous sous les yeux lorsque cette chronique paraîtra. Nous y verrons sans doute que le gouvernement français n’a jamais hésité à donner ou à promettre son concours aux autres puissances, et que, s’il a pris des précautions pour que l’œuvre collective de l’Europe ne s’égarât jamais dans des diversions dangereuses, il a eu pour cela les meilleurs motifs.

Si des mesures de coercition deviennent indispensables, il faudra bien se résoudre à y recourir, et le sultan ne doit se faire aucune illusion à ce sujet; mais une trop grande précipitation aies adopter, sans explications préalables et sans garanties, aurait peut-être donné une confiance excessive à ceux qui ont paru quelquefois rechercher et, en quelque sorte, aimer ces mesures pour elles-mêmes, sans se rendre un compte suffisant des inconvéniens qu’elles peuvent présenter. L’expérience est là pour montrer que le concert établi en vue d’une action commune ne résiste pas toujours à l’épreuve de l’événement, et ne lui survit pas. On sait comment on part pour le Schleswig-Holstein par exemple, afin d’y exercer l’action fédérale, mais on ne sait pas comment on en reviendra. On peut être unis avant, et mortellement brouillés après. Cela s’est vu. Cela se reverra sans doute encore. C’est la mode aujourd’hui de condamner les condominium, et à notre avis on l’exagère, car il y a des circonstances où les condominium sont utiles et même nécessaires; mais, de tous, les condominium militaires sont les plus périlleux, et assurément le danger ne diminue pas si, au lieu d’être deux,