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Nous sommes au lendemain du long cauchemar de la Terreur, les prisons se rouvrent, la société est prise d’un furieux besoin de jouissance. Mme de Condorcet, ennemie de l’emphase, refuse de se draper dans des altitudes de veuve inconsolable. Elle se prête aux distractions de la vie mondaine qui recommence. Des journées passées chez Mme de Boufflers, voisine de Mme Helvétius, des courses au bord de la Seine pour assister aux fêtes données par les enfans de l’École de Mars, des promenades au Ranelagh, tout cela n’est pas très coupable, mais n’est pas non plus d’une recluse. Rentrée en possession de ses biens, Mme de Condorcet acquiert près de Meulan une propriété qu’elle appelle la Maisonnette et où elle se promet de connaître d’autres joies que celles de la philosophie. Car elle a passé la trentaine et elle songe non sans tristesse que pour elle l’hiver approche à grands pas, puisqu’elle appartient « à ce sexe comblé un moment des dons les plus brillans de la nature et pour lequel elle est ensuite si longtemps marâtre. » Certes, les consolations attachées à la paix et aux vertus cachées aident à passer la seconde moitié de la vie, mais la belle veuve ne compte pas plus qu’il ne faut sur elles pour lui faire oublier « cette coupe enchantée que la main du temps renverse au milieu de la carrière. »

C’est à la fin des Lettres sur la sympathie que se lit cette phrase mélancolique et imagée. L’auteur nous renseigne, au cours du même ouvrage, sur ses idées concernant le mariage, le divorce, l’amour : ce sont aussi bien les idées de son temps. D’après elle, c’est uniquement au vice des institutions que l’on doit imputer les actions coupables dont l’amour est le motif. Le remède consiste à relâcher les liens et à les rendre assez larges et assez souples pour qu’ils cessent de contrarier notre naturel besoin de changement. « Supposons que l’homme cesse d’imposer à son cœur si inconstant et à sa volonté plus variable encore des biens indissolubles et dès lors incompatibles avec sa nature ; supposons que le divorce soit permis chez tous les peuples ; supposons même qu’en faveur de la faiblesse humaine et des besoins plus durables d’un sexe, il soit possible comme à Rome de former des unions passagères que la loi ne flétrisse pas;... l’amour perdrait par la facilité de se satisfaire la force dangereuse que cette passion recevait des obstacles mêmes. » Telle est cette conception de l’amour d’où Mme de Condorcet écarte soigneusement les orages de la passion; telles sont ces unions passagères, où nous la verrons s’engager, qui se dénouent sans rupture et s’enchaînent, sans qu’il soit besoin de marquer les transitions, de l’une à l’autre.

C’est d’abord un prêtre défroqué, devenu voltairien. Baudelaire,