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c’est de faire comme les Musulmans qui, devant saluer, avant leur prière, le bon ange assis à leur droite et le mauvais ange assis à leur gauche, commencent par le mauvais ange. — Un jeune Turc m’en a expliqué les motifs en me lisant le Coran. Je vous les dirai un jour si vous êtes bien sage.


Mercredi 9 août 1848.

Plus je relis votre lettre et plus je vous en veux de me tourmenter et de m’attrister ainsi, chère âme tourmentée que vous êtes vous-même. Ne pouvez-vous me parler autrement ? vous le pouvez. — Sur combien de choses qui me sont chères vous gardez le silence, sans y être forcée ! — Faut-il pas encore que je vous pardonne, moi qui ai tant à vous pardonner déjà, ma belle et capricieuse amie. — Allons ! ne vous révoltez pas, ne relisez pas ; oui, c’est écrit ; il y a : pardonner ! Vous êtes très coupable envers moi. Convertissez-vous, corrigez-vous, confessez-vous à moi, votre vrai directeur, le meilleur, allez, croyez-moi ; celui qui ne demande qu’à absoudre. Mais dites tout, à votre prochaine confession, c’est-à-dire votre première lettre, et donnez-moi occasion aussi de parler le même langage ; car sans cela ne craignez-vous pas de perdre ce qu’il y a de plus intime, de plus intéressant et, je crois, de meilleur dans l’âme d’un ami ?


10 août, jeudi matin.

Vous aimez donc ceci ? cette sorte de journal ? Et moi aussi ! cela fait illusion, il semble qu’on vive ensemble.

Hélas ! jamais les vertes collines d’Irlande n’ont éclaté de plus belles couleurs que nos collines françaises chargées de vignes. nos prés arrosés de ruisseaux, et nos petites montagnes couronnées de chênes… Hélas ! jamais un soleil plus ardent ne les a éclairées, et pas une feuille ne tombe des grands frênes et des ormes, qui étalent insolemment leur immense éventail… Hélas ! c’est l’été. Et nous qui avions presque cru à l’hiver !

La campagne est-elle pour vous une suite de visites, et un chapelet de salons où vous allez dire un ave ? — S’il en est ainsi, je vous plains.

Pour moi, je ne lui pardonne son immobilité, son éternité impudente, sa fraîcheur et ses rajeunissemens annuels sur les tombe ? de ceux qu’on aime, qu’en faveur de son silence et de ses magnifiques horizons. La solitude est sainte, je ne cesserai de le répéter comme ce Stello que vous aimez. Elle me permet d’écouter mes