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Pour qui contemple le monde, bientôt conquis à la civilisation chrétienne, et mesure l’ombre lumineuse que la France projette sur la planète, voilà les deux forces qui nous permettent encore de faire grande figure, jusqu’aux extrémités des continens, entre les peuples civilisés et les tribus barbares. Et quels que soient ses sentimens personnels, qui aime la France doit se garder de toucher à l’une ou à l’autre, car ce serait diminuer la patrie. La France est encore, sinon la première, du moins une des premières nations du monde, par l’argent, par son marché financier; — et la France, demeurée malgré tout, la fille aînée de l’Eglise, reste, en dépit de ses révolutions et malgré ses gouvernans, malgré son incrédulité ou son indifférence, la première entre les nations catholiques. Et tant que l’argent et la Bourse, tant que la religion et l’Évangile tiendront une place dans les préoccupations des peuples, la France, si elle sait conserver ces deux primautés d’ordre inégal, est assurée de garder un grand rôle dans le monde, car elle possède une double prise sur les âmes des hommes, les tenant, en quelque sorte, par les deux anses extrêmes de la nature humaine.

Ni la défaite qu’aucune alliance n’a encore su effacer, ni la brèche faite à nos frontières qu’aucun traité n’a encore réparée, ni l’étroitesse de notre territoire, ni l’arrêt d’accroissement de notre population, ni l’instabilité de nos gouvernemens, ni l’impuissance agitée de Chambres sans vues et sans volonté, ni les malheurs d’hier, ni les périls de demain, rien ne semble nous avoir découragés de redevenir un grand peuple. Nos rivaux raillent, volontiers, cette obstination de la Fiance vaincue, raidie contre le sort, à vouloir être grande. Quelles que soient nos fautes et nos inconséquences, les railleurs auront tort, si nous savons ne pas méconnaître les conditions de notre grandeur matérielle et de notre grandeur morale, rejetant tout mépris de rêveurs idéalistes pour la première, tout dédain d’esprits forts pour la seconde ; car ces deux primautés, les dernières qui nous restent, ont, en dépit des apparences, un lien entre elles. Elles se tiennent et se soutiennent l’une l’autre. Si la France reste toujours l’aînée des nations catholiques, au premier rang partout où résonnent les hymnes de l’Église, attirant les regards et l’admiration d’une moitié du monde chrétien, elle ne le doit pas uniquement à l’abnégation de ses fils et de ses filles, à la science ou à la vertu de son clergé, au zèle de ses missionnaires; pour tout cela, d’autres oseraient peut-être entrer en compétition avec elle; elle le doit, tout