Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/913

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et petits, tout prêts à se partager notre héritage. Et il en est de la royauté financière comme des autres ; une fois renversée, rien de plus malaisé que de la restaurer. Voulons-nous la conserver, il nous faut être assez sages pour éviter tout ce qui peut l’ébranler. Or, la puissance financière d’un grand pays ne réside pas tout entière dans sa richesse; elle a des organes, elle a des rouages complexes qui ne peuvent se détraquer impunément. Qu’il s’agisse de la Bourse de Paris ou de la Banque de France, gardons-nous de briser, de nos mains, les ressorts éprouvés de la puissance française.

Notre France, avec sa population stationnaire, entre des voisins qui grandissent toujours, notre vieille France garde deux forces d’origine différente et d’ordre divers qui lui maintiennent, parmi les peuples, une place supérieure à sa masse et à sa force numérique. Ces deux forces, que le vainqueur de 1870 n’a pu encore nous ravir, sont-ce l’art et la science, la double couronne dont le génie de nos aïeux a ceint, durant des siècles, le front de la patrie française ? Plût au ciel que l’éclat de cette double auréole éblouît encore assez les peuples pour leur faire reconnaître la suprématie intellectuelle de la France ! mais si nous nous croyons toujours en droit d’y prétendre, d’autres nous contestent cette royauté de l’art et de la science, d’autres se flattent d’y avoir non moins de titres que nous, allant jusqu’à proclamer la prochaine déchéance de notre génie vieilli. A nous de prouver que leur jalousie se trompe. Il est deux forces, au contraire, que le monde n’ose encore nous dénier, l’une toute spirituelle, faite de foi et d’enthousiasme, de renoncement, de témérité généreuse, de prodigalité de soi-même, d’ardent idéalisme ; l’autre faite de calcul, de prudence égoïste, de sagesse pratique, de prévoyance mondaine ; toutes deux puisant, malgré tout, au plus profond des instincts de la race et témoignant, jusqu’en leur contraste, de sa vitalité persistante. De ces deux forces nationales, toujours vivaces, l’une est la richesse, l’épargne, l’esprit d’économie et, à un moindre degré, l’esprit d’entreprise qui ont leur aboutissement à la Bourse; l’autre est le sentiment religieux, la passion du dévouement qui, pour notre France, est une vocation ancienne, le goût du prosélytisme, la foi aux idées, qui s’est, tour à tour, ou tout ensemble, exercée en des directions bien diverses, et qui, aujourd’hui, au seuil du XXe siècle, comme avant la Révolution, a son expression la plus haute dans nos religieux, dans nos sœurs de charité, dans nos missionnaires.