de répréhensible, en fait honneur au philosophe et à la philosophie[1]. Les anciens semblent avoir été indulgens pour ces tentatives d’accaparement ; ils n’y voyaient qu’une habileté d’esprits avisés. Les modernes, à commencer par les moralistes chrétiens, ont été plus sévères; mais, en condamnant le monopole et l’accaparement qui n’en sont que des abus, ils n’ont eu garde de condamner toute spéculation. Les théologiens ont souvent essayé de faire une théorie du juste prix, ou comme ils disent, de la justice dans les contrats commutatifs ; la plupart ont dû reconnaître que le juste prix résultait de la commune estimation, c’est-à-dire du jeu de l’offre et de la demande; partant, il leur a fallu admettre que le marchand qui subit les risques de perte a le droit de profiter des chances de plus-value[2]. Or, c’est là le point de départ de toute spéculation.
Une erreur, presque générale, est de croire que la spéculation ne peut s’exercer qu’aux dépens du public. C’est là une vue courte. La spéculation, même sous ses formes les plus attaquées et parfois les plus critiquables, rend souvent service à la communauté. Quoi de plus décrié, de tout temps, que la spéculation sur les blés? C’est pourtant cette spéculation, d’apparence criminelle, qui approvisionne les pays menacés de disette; elle a préservé les peuples européens de la famine, et cela, à des conditions moins dures que celles du Joseph de la Genèse. Encore, n’est-ce là peut-être qu’un de ses moindres services.
La spéculation, au sens large du mot, est un agent de progrès; j’ai bien peur qu’elle ne soit le ferment le plus actif de nos sociétés matérialistes. Si nous examinons nos contemporains, force nous est de reconnaître en elle le grand stimulant des intelligences, et peut-être le premier moteur de nos machines et de nos industries. Elle inspire l’esprit d’entreprise; c’est elle qui, en remuant les imaginations, donne le branle aux capitaux; et s’il est vrai que le capital est en train de transformer la face du monde, cela est
- ↑ Aristote, Politique, l. I, ch. VII. On reprochait à Thalès sa pauvreté, et l’on en concluait que la philosophie ne servait à rien. Thalès, selon le récit d’Aristote, avait prévu, par ses connaissances astronomiques, qu’il y aurait, l’année suivante, abondance d’olives ; il se procura quelque argent, loua tous les pressoirs de Milet et de Chio à un prix modéré. Au moment de la récolte, il obtint de ses pressoirs le prix qu’il voulut, prouvant, ainsi, qu’il était facile aux philosophes de gagner de l’argent.
- ↑ Claudio Jannet, le Capital, la Spéculation et la Finance au XIXe siècle, p. 232, a, sur ce point, donné l’opinion de saint Thomas d’Aquin, qu’ont suivie la plupart des théologiens modernes.