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répondre à l’agitation cléricale en donnant la succession de Santa-Rosa à son ami Cavour, le plus énergique champion de la loi maudite.

D’Azeglio, quoique ne l’aimant pas, consentit à le prendre pour collègue. Le roi, qui avait hérité des sentimens de défiance de son père, refusa. « C’est trop tôt, son heure viendra plus tard, proposez-moi un nom plus sympathique. » La Marmora insista et démontra que ce nom « peu sympathique » était le nom nécessaire. « Eh bien, soit ! dit Victor-Emmanuel, seulement rappelez-vous qu’il ne tardera pas à devenir le maître de la maison et qu’il nous enverra dans la rue tous les jambes en l’air. »

Cavour, malgré son triomphe récent, était alors dans un profond découragement. Les hommes de la droite lui reprochaient de les abandonner ; ceux de la gauche continuaient à le suspecter. « Il est probable, écrivait-il, que mon rôle finira bientôt. Dans un temps comme le nôtre, un homme politique est vite usé : je le suis déjà à demi ; avant longtemps, je le serai tout à fait. » Et voilà que soudain, à l’improviste, pour la première fois, il se voyait soulevé par la faveur populaire. Le ministère qu’on lui offrait était au-dessous de ses mérites : une raison de cette nature empêcha un jour le jeune Pitt d’entrer aux affaires. Cavour accepta, certain d’obtenir bien vite la prééminence à laquelle il était destiné (11 octobre 1850). Le jour de son entrée au ministère, il ordonna de liquider toutes ses valeurs de bourse, opération dans laquelle il perdit une trentaine de mille francs. Bientôt à son premier portefeuille étaient joints celui de la marine et celui des finances (19 avril 1851). Le roi avait prédit juste. Dès que Cavour fut ministre, il devint le ministère. « Ce petit homme, ce coq de combat, disait d’Azeglio, me traite comme Louis-Philippe ; je règne et ne gouverne pas. » En effet il parlait et décidait pour tous, et bon gré mal gré les entraînait, soit dans la réalisation de ses idées de liberté commerciale, soit dans ses mesures financières pour sortir de la dépendance ruineuse de Rothschild. D’Azeglio s’essouffla tellement à le suivre qu’il en tomba malade.


III

Les petits princes italiens ne cachaient pas leur inquiétude de la conduite de Victor-Emmanuel, condamnation implicite de la leur, excitation à leurs sujets d’être mécontens. Le roi de Naples