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un romancier oublié.

apprendre quel était son nom... Il écrivit non seulement à Bordeaux pour s’informer du nom et de la qualité de la dame... mais auparavant, il fit encore lui-même un voyage sur les lieux pour tâcher de découvrir ce qu’il était curieux de savoir... Il n’en put jamais venir à bout... »

J’abrège. Le Bénéficier fait élever l’enfant et à son lit de mort le lègue à un autre ecclésiastique qui le met en apprentissage chez un charpentier.

Chose curieuse, le continuateur de Marivaux semble s’être lui aussi reporté, avant d’écrire les derniers livres de la Vie de Marianne, à l’ouvrage dont Marivaux s’était souvenu : au dénouement, la petite lingère se trouve être la fille d’un grand seigneur étranger, de même que la femme de chambre qu’avait épousée Bouy se trouve être la fille d’un Président.

Les œuvres de l’abbé Prévost portent de plus visibles traces de l’influence que Sandras a exercée sur lui. Plus d’un exemplaire du Rochefort ou du d’Artagnan, si bien faits pour plaire à des soldats, devait traîner sous la tente et dans la tranchée quand Prévost s’échappa de chez les Jésuites pour s’enrôler. Comment ne pas songer à Sandras en lisant les Mémoires d’un homme de qualité, Cleveland, le Doyen de Killerine, et les Mémoires de M. de Montcal ? Des hommes dont la vie appartient en majeure partie à la seconde moitié du xviie siècle s’y confessent à nous. Les uns se sont trouvés en présence des écrivains célèbres, de Racine, de Boileau, de Molière ; d’autres ont approché d’Henriette d’Angleterre et assisté à son agonie que d’Artagnan avait déjà décrite ; d’autres ont été comme lui témoins de la révolution d’Angleterre, et ont combattu sous le drapeau des Stuarts. Ils ont ferraillé, guerroyé, couru le monde, et s’il arrive assez communément que leur vie orageuse s’achève dans un cloître, Rochefort vieilli les y avait précédés. Tel cas de pathologie passionnelle que Sandras a noté et que j’ai cité se retrouve dans les Contes, Aventures et Faits singuliers de Prévost. Telle histoire de spectre ou de revenant qui est de Sandras pourrait être de Prévost, dont ce n’est pas le moindre mérite que d’avoir eu, au temps de Fontenelle et de Voltaire, le sentiment profond du surnaturel : je n’en citerai qu’une. Le marquis de Rambouillet et le marquis de Préci, jeunes tous deux, tous deux libertins, ont échangé en riant une promesse : il est convenu que celui qui mourra le premier viendra donner à l’autre des nouvelles de l’autre monde. Ils se séparent, et le mar-