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un romancier oublié.

ductions, Mémoires ou Annales, n’est qu’une chronique au jour le jour et volontiers scandaleuse de la cour et de la ville. Il y a plus d’un rapport entre Bussy-Rabutin et lui ; et il le détestait en effet comme on ne se déteste qu’entre gens de même métier.

Il se peut bien qu’il ne mérite pas plus que Bussy le nom d’historien, et que cette besogne de gazetier n’ait rien de très honorable. Mais, tandis que certains romanciers ont eu peut-être tort d’empiéter au xviiie siècle sur le domaine du journaliste et au xixe siècle sur celui du reporter, il n’était pas mauvais à cette date de 1700 que la gazette pénétrât dans le roman. Elle y faisait entrer de la vie ; elle le mettait en contact avec la réalité dont il était si tenté de s’éloigner ou qu’il n’osait peindre que travestie ; elle l’enhardissait à devenir une peinture directe du présent.

Quelques-unes des anecdotes que Sandras enregistre ne valent pas cher : un lit à colonnes, qu’un mari trompé a fait attacher à des poulies et qui brusquement s’enlève avec les deux coupables à quinze pieds en l’air, serait moins déplacé dans un conte de La Fontaine que dans les Mémoires de d’Artagnan. Ces anecdotes-là sont rares chez Sandras, et il en a collectionné je ne sais combien d’autres qui sont de bons traits de mœurs. C’est La Feuillade aux prises avec le baigneur à la mode Prudhomme qui l’a longtemps logé, lui a prêté ainsi qu’au comte de Grammont deux ou trois cents louis et ne reçoit en paiement qu’un soufflet ; c’est le comte de Rochefort qui, s’étant cassé le bras, se fait soigner par des moines, par des charlatans et finalement par le rebouteur en vogue, le bourreau de Paris ; Saint-Preuil, gouverneur d’Arras, qui enlève la femme d’un meunier, et par des menaces autant que par des libéralités oblige le meunier à se taire ; le comte d’Isle qui, campé dans un village avec son régiment, réclame de son hôte, en jurant comme un forcené, « une servante d’ustensile » ; ce sont les absurdes gageures des fins de souper, le duc d’Orléans pariant de manger une omelette sur le ventre du gros colonel Wallon et gagnant son pari ; les nuits de débauche où le même duc mène grand tapage chez la Neveu et où le commissaire, accouru au bruit, recule tout penaud à la vue d’un cordon bleu. Nous plaît-il, avant de suivre Desgrieux à l’hôtel de Transylvanie ou Restif de la Bretonne dans les tripots de 1780, de faire connaissance avec les joueurs du xviie siècle, d’étudier leurs physionomies, leurs allures, leurs manies et leurs ruses ? Sandras nous ouvre l’Académie, c’est-à-dire la maison de