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place qu’elle y a si longtemps tenue. Cette année, de même qu’en des lieux plus voisins de nous, on a surpris un ouf! universel de soulagement quand la mater parliamentorum s’est ajournée : de l’autre côté de la Manche l’opinion commence aussi à redouter un peu la réouverture des sessions. M. Balfour, qui est le leader de la Chambre, n’a pas dissimulé à ses collègues qu’à son avis le parlementarisme est en train de subir une épreuve décisive. Le développement de l’obstruction systématique a nui au bon renom et à l’efficacité de la législature. Il a entraîné des scènes scandaleuses. Il a provoqué l’adoption d’un ensemble de règles et de clauses pénales, aussi contraires aux nobles coutumes de Westminster qu’à l’esprit du régime délibératif. Déjà les conditions essentielles du gouvernement parlementaire commencent à n’exister plus. Au lieu de deux grands partis, se faisant contre-poids et se succédant l’un à l’autre, la Chambre s’est émiettée en une poussière de groupes. Dans la majorité ministérielle on en compte deux, peut-être trois; l’opposition libérale en contient deux, sinon trois; les nationalistes irlandais se subdivisent également en trois factions ennemies.

Le gouvernement de cabinet lui-même fléchit; lord Salisbury, grand innovateur bien que conservateur résolu, tend à y substituer le pouvoir personnel d’un homme — à tout le moins en matière de politique étrangère, où l’union entre ses mains du portefeuille du Foreign office et des sceaux de premier ministre le soustrait à tout contrôle. A l’intérieur un trio, lord Salisbury, son neveu, M. Arthur Balfour, avec M. Chamberlain, — parfois, quand le duc de Devonshire et M. Goschen s’y adjoignent, un quintette, — réduit à une vaine parade les fonctions des quatorze autres Cabinet ministers. Dans cette Angleterre démocratisée et vulgarisée où la ligue des Primevères exploite avec tant de succès, par l’intermédiaire de grands seigneurs, de grandes dames et d’habiles gens, les petitesses et les basses ambitions de la nature humaine et le snobisme politique, le parti relâche de plus en plus ses liens ; l’homme providentiel s’empare de plus en plus de l’imagination populaire. La patrie à jamais vénérable du régime parlementaire, la terre classique et glorieuse du libéralisme glisse sur la pente de cet impérialisme bâtard dont Disraeli avait fait le rêve malsain.

A côté d’un pareil fait, tous les autres pâlissent. Il ne saurait cependant être sans intérêt de passer rapidement en revue les